samedi 10 septembre 2016

Jésus a-t-il été essénien?

Les esséniens sont mentionnés dans les écrits de Flavius Josèphe, de Philon d'Alexandrie et d'Hippolyte de Rome, en des termes assez similaires... Notons quelques nuances entre ces textes, pour Flavius Josèphe, les esséniens sont Juifs de naissance, d'après Hippolyte de Rome non, ce qui implique que les convertis au judaïsme y étaient admis. 

Flavius Josèphe et Philon ont dissimulé certaines informations cruciales sur les esséniens: ils les présentent comme des pacifiques, Flavius Josèphe prétendra même qu'ils n'ont pas participé à la révolte contre Rome; c'est évidemment faux. En effet, les textes trouvés à Qumran correspondent pleinement à ce qu'ont dit ces auteurs sur leur doctrine ésotérique, sauf sur un point: c'est que les textes de Qumran sont des nationalistes judéens; et le nationalisme judéen qui imprègne ces textes est tel que cela rend peu probables que les Esséniens n'aient pas participé à la révolte contre Rome... Ils sont même, pour nous, l'aile le plus dure des révoltés, celle des sicaires. Les sicaires disciples d'Ezechias de Galilée qui conduisit une révolte en –47 et qui fut sommairement exécuté par Hérode alors qu'il n'était encore stratège de Galilée. Ezéchias de Galilée est le père ou plus probablement le grand-père de Judas de Gamla qui conduisit la révolte contre le recensement de 6. Ensuite ses descendants continueront son combat, ses fils Jacques le Juste et Simon Iskarioth seront crucifiés en 47, son petit-fils, Menahem prendra Massada en 66, donnant le signal de la révolte contre Rome. C'est enfin, son dernier descendant connu, Éléazar de Massada qui ordonnera le suicide collectif des sicaires de Massada en 74. Une autre information cruciale que Flavius Josèphe a omise, ce sont les aspects sacerdotaux, on comprend assez facilement avec les manuscrits que les esséniens sont des qohen qui ont quitté le service du Temple parce qu'ils refusaient d'appliquer les prescriptions pharisiennes qui devinrent la norme au Temple après la mort de Jannée en –76. Autre point, qu'ils ont soigneusement omis, c'est que les sadducéens sont bien des esséniens, mais considérés comme des traîtres parce qu'ils se soumettent aux pharisiens. La plupart des thèses anciennes faisaient des esséniens, des pharisiens qui avaient rompu avec le pharisianisme majoritaire; aujourd'hui le plus simple est de dire que ces trois écoles proviennent du mouvement assidéen qui prit naissance avec la révolte macchabéenne (–167 à –152). 

L'école sadducéenne appliquant les enseignements pharisiens, ne doit pas être considérée comme une école, mais comme un mouvement sacerdotal par les origines, pharisien par la pensée. Flavius Josèphe dit d'eux:
Leur doctrine n'est adoptée que par un petit nombre, mais qui sont les premiers en dignité. Ils n'ont pour ainsi dire aucune action; car lorsqu'ils arrivent aux magistratures, contre leur gré et par nécessité, ils se conforment aux propositions des Pharisiens parce qu'autrement le peuple ne les supporterait pas. [Antiquités, 18, 17.]
Il y a donc deux écoles réelles dans le judaïsme: les esséniens ou assidéens et les pharisiens ou rabbins... 

Dans la pensée chrétienne, il est évident que Jésus est en dehors de ces écoles et est le premier chrétien; pourtant en des passages très techniques des évangiles ses paroles rejoignent l'école essénienne. 

En effet, d'après les manuscrits de Qumran, les esséniens sont en guerre avec deux écoles: l'école sadducéenne (appelée Manassé) et l'école pharisienne (appelée Ephraïm ou les chercheurs des choses flatteuses); et curieusement Jésus attaque les pharisiens et les sadducéens, et jamais les esséniens. Les chrétiens affirment que c'est parce que les esséniens étaient insignifiants en nombre... on ne sait s'il faut rire ou pleurer de tant de mauvaise foi; la période rédactionnelle des manuscrits de Qumran s'étend sur 150 ans... or il y avait au moins 1000 manuscrits, seuls deux ou trois manuscrits ont été faits par le même scribe, ce qui signifie qu'à Qumran qui n'aurait jamais compté plus de 50 personnes, qui n'étaient certainement pas tous des scribes, il y aurait quand même eu un millier de scribes... 

Notons d'ailleurs que Jésus ne dispute jamais non plus avec des sicaires ou des zélotes, pourtant quand la révolte a commencé ils étaient 100000 en Galilée, 1/4 de la population... Si Jésus ne dispute pas avec les sicaires et les zélotes, c'est aussi parce qu'il les prend pour disciples, comme Judas le Sicaire (Judas Iscatiote) et Simon le Zélote (que Marc croit être Simon le Cananéen, il n'y avait plus de Cananéens depuis des centaines d'années, ils avaient été assimilés)... Ce qui implique de manière on ne peut plus claire que le mouvement de Jésus recrutait après de la frange nationaliste et radicale de la population juive de Galilée... Cette proximité de Jésus et des sicaires n'est d'ailleurs pas sans rappeler le mensonge de Flavius Josèphe qui divise l'école assidéenne en sicaires révolutionnaires et en esséniens pacifistes, en sachant parfaitement bien que ce sont les mêmes personnes: esséniens le jour, sicaires la nuit.... 

Les positions de Jésus sur le divorce sont conformes à l'Écrit de Damas et aux prescriptions de Rabbi Shammay. Les positions sur le fœtus sont conformes entre esséniens et Jésus, du moins si les passages de Paul contre l'avortement représentent bien l'enseignement direct de Jésus; en effet, pour eux, le fœtus est une personne réelle, alors que pour les pharisiens, le fœtus est une partie de la mère; de là, les esséniens interdisent les sacrifices des animaux gravides, alors que les pharisiens les autorisent.

Deux exemples encore, Jésus reproche aux pharisiens d'autoriser un homme à consacrer ses biens au Temple, et ensuite de le délier de l'obligation de venir en aide à son père ou à sa mère, et l'Écrit de Damas dit:
De se préserver de la richesse impie qui est impure à cause d'un vœu ou d'un anathème. [CD VI, ligne 15.]
L'Écrit de Damas recommande encore [CD VI, 20–21 et VII, 1–6]:
D'offrir les choses saintes selon leurs teneurs exactes [Jésus dit en Luc 11, 42: Mais malheur à vous, pharisiens! parce que vous payez la dîme de la menthe, de la rue, et de toutes les herbes,et que vous négligez la justice et l’amour de Dieu: c’est là ce qu’il fallait pratiquer, sans omettre les autres choses.] d'aimer son frère comme soi-même [Jésus dira: Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Rappelons que ce passage est une citation, même si c'est une citation de Lévitique, on constate la récurrence de thèmes semblables.], de soutenir la main du pauvre, du misérable et du gèr, de chercher chacun le bien-être de son frère et que personne ne soit infidèle à sa propre chair [son épouse]; de se préserver de la luxure selon la Loi [la luxure signifie épouser sa nièce, ou deux femmes, ou divorcer sous de faux prétextes et se remarier]; de réprimander chacun son frère selon le commandement et de ne pas garder rancune d'un jour à l'autre [Comparable à Luc 17, 6: Si ton frère a péché, reprends-le; et, s’il se repent, pardonne-lui. Et à Matthieu 6, 14: Si vous pardonnez aux hommes leurs offenses, votre Père céleste vous pardonnera aussi.]; de se séparer de toutes les impuretés selon leur loi et que personne n'est pas ne souille son Esprit saint selon ce que Dieu a distingué pour eux [Comparable au péché contre l'Esprit qui ne sera pas pardonné.] Tous ceux qui marchent avec celles-ci [les Lois] dans la sainteté parfaite selon toutes ses instructions, l'Alliance de Dieu est pour eux l'assurance qu'ils vivront mille générations. [=la vie éternelle, voir Matthieu 19, 16–17; Maître, que dois-je faire de bon pour avoir la vie éternelle? Il lui répondit: ... Si tu veux entrer dans la vie, observe les commandements.]
Tant de similitudes textuelles dans des textes aussi brefs ne peuvent s'expliquer que si Jésus était lui-même essénien et qu'il transmettait leurs enseignements. Notons encore que les esséniens reconnaissaient le caractère prophétique du Livre d'Hénoch et que le Nouveau Testament est rempli de réminiscences de ce texte. Notons encore que les premiers chrétiens mettaient leurs biens en commun sous la garde des anciens, comme les esséniens.

Voyons les dissemblances! Les esséniens semblent peu impressionnés par les miracles, mais les miracles de Jésus qui remplissent une grande part des évangiles peuvent s'expliquer par la volonté des rédacteurs d'impressionner les païens plus intéressés par le merveilleux que par l'éthique de la Torah. Pour les miracles de Jésus, voir: http://essenochristianisme.blogspot.be/2016/09/quelques-sources-litteraires-des.html

Il y a plusieurs passages qui n'ont probablement pas été dits par Jésus, parce que les concepts qu'ils dispensent correspondent à l'éclosion de la religion individuelle. Une telle évolution de la religion est probable à Alexandrie à la fin du Ier siècle et au début du IIe, par contre la Judée est restée dans une pratique collective et sociale de la religion, parmi ces passages, notons:
21. Femme, lui dit Jésus, crois-moi, l’heure vient où ce ne sera ni sur cette montagne ni à Jérusalem que vous adorerez le Père. 22. Vous adorez ce que vous ne connaissez pas; nous, nous adorons ce que nous connaissons, car le salut vient des Juifs. 23. Mais l’heure vient, et elle est déjà venue, où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité; car ce sont là les adorateurs que le Père demande. 24. Dieu est Esprit, et il faut que ceux qui l’adorent l’adorent en esprit et en vérité.
Ou:
6. Mais quand tu pries, entre dans ta chambre, ferme ta porte, et prie ton Père qui est là dans le lieu secret; et ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra.
De tels passages se rapprochent des textes hermétiques, ou d'autres pseudépigraphes alexandrins du Ier siècle. Même remarque sur l'Adam paulien qui se rapproche des textes connus de la Gnose sethienne ou des spéculations hermétiques sur l'Homme universel ou Anthropos primordial...
Ces passages s'opposent à un essénisme en Judée dans les années 30; par contre, il pourrait provenir de l'essénisme des Thérapeutes d'Alexandrie après la destruction du IIe Temple.

Dans les passages les plus non esséniens des évangiles, il convient de noter:
  • l'onction à Béthanie, un interdit essénien, l'huile profane rend l'homme impur... Notons que cette onction existe en trois versions, toutes différentes: une chez Matthieu et Marc, une différente chez Luc et une encore différente chez Jean. Mais le passage dissimule une réécriture tirée de Pétrone (chapitres 77–78), chez qui on lit: [...] En attendant, Stichus, apporte-nous les vêtements funéraires dans lesquels je veux être enseveli ; apporte-nous aussi les parfums et un échantillon de cette amphore dont je désire qu’on arrose mes os. » Stichus ne fut pas long. Il rapporta dans la salle à manger une tunique blanche et une robe prétexte. Pygmalion nous pria de les tâter pour voir si elles étaient en bonne laine. Il ajouta en souriant : « Prends garde, Stichus, que les rats ou les teignes ne s’y mettent, car je te ferais brûlé vif. Je veux avoir un bel enterrement, afin que tout le peuple bénisse ma mémoire. » Aussitôt, il débouche une fiole de nard et nous en fait frictionner, à la ronde : « J’espère, dit-il, qu’il me fera autant de plaisir après ma mort que maintenant. » [...] Notons que Luc a dû comprendre qu'il s'agissait d'un plagiat de Pétrone, puisqu'il a mis la péricope en milieu de vie, alors que Matthieu, Marc et Jean, conformément à Pétrone, la placent juste avant la mort de Jésus.
  • La résurrection de Jésus sous forme humaine; pour les esséniens la résurrection, c'est l'obtention de l'état angélique... comme d'ailleurs Jésus l'explique très bien dans sa dispute contre les sadducéens...
  • le pardon de la femme adultère; les esséniens appliquent inflexiblement la justice et condamnent à mort sans état d'âme... Notons que ce passage ne se trouve pas dans les manuscrits anciens des évangiles (seul un manuscrit antérieur à 800 contient cette péricope); elle est probablement une réécriture marcionite. En effet, on lit dans la péricope: puis de nouveau [Jésus] s’étant baissé avec le doigt il fit une inscription sur le sol. Or, ce passage contient une réminiscence d'Exode 31, 18: Dieu donna à Moïse, lorsqu’il eut achevé de s’entretenir avec lui sur le mont Sinaï, les deux tables du Statut, tables de pierre, burinées par le doigt de Dieu. Il est donc clair que dans le passage, Jésus écrit la nouvelle loi d'amour qui abolit la Torah, et sauve ainsi la femme adultère. Une telle conception est totalement marcionite.
  • L'utilisation de bandes plutôt que d'un linceul est aussi douteux, c'est plutôt un usage égyptien que juif. 

Conclusion
Jésus a bien été un essénien, il pratiquait une mystique énochéenne comme eux, il montre une connaissance implicite de leurs principaux textes; Jésus l'Essénien, c'est le Jésus original. Quand les évangiles prirent leur forme définitive dans les années 135, les disciples de Jésus avaient évolué sur deux points: ils avaient suivi les mouvements spiritualistes alexandrins qui défendaient une vision individuelle et spirituelle du culte, et voulaient une paix avec les Romains. Ils semblent avoir eu la collaboration d'un samaritain qui prétendait avoir des sources inédites sur Jésus, c'est probablement lui qui a composé les passages en faveur des Samaritains et qui a donné la tournure antisémite des évangiles.  C'est probablement encore lui qui a inséré dans les évangiles des passages tirés d'auteurs païens, comme Pétrone et d'autres; et c'est probablement lui qui a rédigé le récit de la résurrection.



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