vendredi 9 septembre 2016

Barabbas, Yom Kippour et les origines de l'antisémitisme chrétien...

Les évangiles racontent une histoire, celle-ci suppose que leurs lecteurs soient familiarisés avec le judaïsme duquel le christianisme est issu; sans quoi, ils deviennent rapidement incompréhensibles, ou plutôt sont devenus incompréhensibles. 

Rappelons qui est Barabbas: c'est un nationaliste judéen incarcéré par les Romains pour insurrection et pour meurtres, même si les évangiles ne le disent pas, c'est probablement un sicaire. Les sicaires sont des Juifs de tendance assidéenne, les mêmes donc qui suivirent Judas Macchabée et délivrèrent Jérusalem de la domination séleucides et qui n'ont jamais cessé de lutter pour une Judée libre et indépendante. 

L'histoire est assez simple, Ponce Pilate semble s'être engagé à libérer un prisonnier pour la Pâque; il voudrait épargner Jésus, mais les Juifs demandent qu'on libère Barabbas et qu'on exécute Jésus. Devant la pression populaire juive, Ponce Pilate, craignant une insurrection, fait crucifier Jésus et libère Barabbas. 

Une des grandes incohérences des évangiles est que Jésus est considéré comme l'agneau pascal qui délivre des péchés; en fait, c'est une contradiction avec la Torah, puisque l'agneau qui est sacrifié à Pâque, est non un sacrifice d'expiation, mais un sacrifice d'offrande, de remerciement à Dieu, pour avoir libéré le peuple Juif de l'esclavage en terre d'Égypte. Dans la Torah, le sacrifice d'expiation par excellence est le sacrifice de Yôm Kippour. Ce sacrifice fut institué comme expiation pour l'adoration du veau d'or pendant que Moïse recevait les Tables de la Loi; pendant cette journée les Juifs doivent jeûner complètement, c'est-à-dire, s'abstenir totalement de boire et de manger, du coucher du soleil au coucher du soleil suivant. Yom Kippour n'était pas un sacrifice de commémoration, puisque, par celui-ci, les Juifs étaient rédimés des péchés involontaires. Aujourd'hui, comme le Temple n'a toujours pas été relevé, les sacrifices ne sont plus faits, mais l'obligation de jeûne complet est maintenue. 

Le rituel de Yom Kippour est décrit dans le chapitre XVI du Lévitique; rituel que nous allons résumer. Rappelons qu'un sacrifice d'expiation vise à effacer une faute et qu'un holocauste est un sacrifice dans lequel l'animal est consumé, mais c'est une offrande. Lors de Yom Kippour, Aaron ou son descendant exerçant les fonctions de grand-prêtre, doit d'abord sacrifier un taureau et ensuite un bélier: le taureau comme expiation de ses fautes (ou par extension, des fautes des qohanim descendants d'Aaron) et le second comme offrande à Dieu. Le grand-prêtre doit ensuite revêtir son costume de fonction et choisir deux boucs pour l'expiation des péchés du peuple et un bélier pour l'offrande. Des deux boucs, le grand-prêtre tirera au sort, un qui devra être sacrifié pour l'expiation tandis que l'autre qui sera envoyé dans le désert comme offrande à Azazel. Ensuite est sacrifié le Bélier comme offrande à Dieu pour les fautes du peuple. 

Constatons qu'il y a deux boucs, un qui est envoyé dans le désert et l'autre qui est sacrifié; comme il y a deux hommes en attente d'être exécuté, un qui sera libéré et l'autre qui sera crucifié. Le grand-prêtre, Qaïphe donc, dira que c'est Barabbas qui doit être libéré et Jésus qui doit être exécuté, exactement comme le grand-prêtre dira qu'un des deux boucs doit être envoyé au désert et l'autre sacrifié. 

L'histoire est allégorique, les évangiles accusent clairement le grand-prêtre d'avoir fait le mauvais choix: il fait libérer le révolutionnaire juif, Barabbas et fait crucifier le Juif pacifique, Jésus; les auteurs des évangiles comparent aussi implicitement le peuple Juif, ou plutôt les Judéens à un désert ou à Azazel...  Dans ce passage purement fictionnel, tout en pouvant avoir des fondements historiques; ils affirment en réalité que, si le Temple a été détruit, ce n'est pas la faute des Romains (Ponce Pilate veut libérer Jésus), mais bien la faute des Juifs qui suivirent la folie des insurgés sicaires et zélotes qui mènera à la destruction du Temple. Et cerise sur le gâteau, les évangélistes confirment à leurs lecteurs romains que Jésus était bien un pacifiste et qu'il n'avait rien à voir avec les sicaires. 

La réalité historiques est plus que certainement différente, il n'y a probablement jamais eu deux prisonniers, mais un seul, Jésus Barabbas... Jésus et Barabbas ont été divisés en deux personnages afin de masquer les aspects anti-romains de Jésus, mais il s'agit du même personnage: Jésus est Barabbas, d'ailleurs quelques manuscrits ont conservé le prénom de Barabbas et ils affirment qu'il s'appelait aussi Jésus.

Quant au peuple Juif, il est présenté comme portant la faute de la mort de Jésus, c'est-à-dire, la responsabilité de la destruction du Temple. Rappelons que Rabban Gamaliel rejettera les judaïsants de langue grecque, car il considérait qu'ils n'étaient pas intervenus avec suffisamment de vigueur après de Titus pour empêcher la destruction du Temple ou pour le protéger de la cruelle répression due à Lucius Quietus pendant la révolte des Communautés (115–118). 

On lit dans les évangiles une querelle d'alliés devenus ennemis qui ont connu une défaite terrible, et chacun se renvoie la balle: les judaïsants (les chrétiens, donc) qui accusent les Juifs d'avoir été intransigeants (libérer Barabbas le révolté au lieu de Jésus le pacifique) et d'être responsables de la destruction du Temple; et les rabbins qui accusent les chrétiens d'avoir laissé l'irréparable se produire. Au fond, chacun disait: c'est pas de ma faute, c'est de la faute de l'autre. 

D'autres passages des évangiles rappellent cette querelle, comme quand l'épouse de Pilate intervient pour que Jésus soit épargné, ce qui n'est pas sans rappeler l'intervention probable de la reine Bérénice de Judée, après de son puissant amant, le futur empereur Titus. Ou encore, Pilate qui ne veut pas condamner Jésus à mort, comme Titus ne veut pas détruire le Temple. 

On imagine difficilement ce qu'a put être la destruction du Temple de Jérusalem en 70, mais il semble évident que le judaïsme s'est effondré et que deux tendances se sont affrontées: les judaïsants et les métis judéo-grecs d'un côté et le sanhédrin de l'autre côté, et chacun a accusé l'autre camp d'être responsable de la défaite. Le procès de Jésus, ce n'est pas le procès de Jésus, mais bien une accusation contre les Judéens considérés comme les responsables de la guerre, et donc de la défaite contre Rome, et donc de la destruction du Temple

Certains aspects de la vie de Jésus furent mythifiés afin de le présenter comme un Juif favorable à Rome, il est néanmoins peu probable que le Jésus de l'histoire ait été ce pacifiste, mais plus probablement le sicaire Barabbas. D'autres passages des évangiles laissent perplexe, puisque Matthieu affirme que Jésus parlait du royaume des cieux et Luc affirme qu'il parlait du royaume de Dieu; or, en hébreu, il est impossible de confondre royaume 'èlohim (royaume de Dieu) et royaume hashamayim (royaume des cieux); le Jésus de l'histoire a donc plus certainement annoncé le royaume au sens de royaume de Judée, et les évangélistes ont autant que possible édulcoré ses propos; les rabbins n'ont pas procédé autrement, tant et si bien que certains rabbins contemporains croient que l'État d'Israël n'est pas légitime, alors que les paroles des sages du Talmud visaient à empêcher les Juifs de se jeter aveuglément dans n'importe quelle révolte. 

Cette affaire de Barabbas est fondamentale dans l'émergence de l'antisémitisme chrétien; en effet, quand les allusions à la responsabilité de la destruction du Temple ne furent plus comprises, quand aussi les chrétiens avaient oublié les deux boucs de Yom Kippour, ils ont commencé à réellement croire que les Juifs avaient condamné leur propre messie à mort pour faire libérer un faux messie, sans se rendre compte qu'ils lisaient une allégorie...  Le Jésus ressuscité, ce n'est d'ailleurs qu'une allégorie du Temple céleste.... 

Quelques points méritent d'être encore notés:
  1. il existe dans les évangiles, de nombreuses dépendances littéraires à l'œuvre de Flavius Josèphe;
  2. le bon et le mauvais larron qui sont crucifiés autour de Jésus est probablement une variante de cette histoire dans laquelle on retrouve les deux boucs de Yom Kippour;
  3. un autre Barrabas est mentionné par Philon d'Alexandrie. En effet, alors que le roi Agrippa Ier s'était arrêté à Alexandrie en 37, avant de faire route pour la Judée, il fut acclamé par les Juifs d'Alexandrie comme roi des Juifs, les Grecs antisémites prirent un Juif du nom de Barabbas ou de Carabas et le déguisèrent en roi (comme Jésus) avant de l'exécuter... 


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