samedi 13 août 2016

Une allusion aux convertis au judaïsme dans l'Évangile de Matthieu

La rédaction des évangiles pose d'innombrables problèmes littéraires et historiques. Ainsi, alors qu'on sait qu'historiquement des centaines de milliers de Romains, de Grecs et d'Égyptiens se sont convertis au judaïsme, y compris un roi comme Izatès d'Adiabène, de la famille Monobaze, ils sont remarquablement absents des évangiles, si on excepte le centurion et la Cananéenne.
Rappelons que la Cananéenne est une Syro-phénicienne et que le mot cananéen était tombé en désuétude à l'époque de Jésus, ne désignant plus qu'une peuplade disparue depuis près de 1000 ans... Il se fait que Cananéen est proche de Qana qui signifie «zélote»... Et Flavius Josèphe appelle dans ses différents ouvrages les convertis au judaïsme, des «zélateurs»... On peut donc supposer que cette cananéenne est en réalité une convertie au judaïsme; ce qui est conforme à ce qu'on sait, puisque les sources anciennes nous affirment qu'un tiers des femmes tyriennes, s'étaient converties au judaïsme dans la première moitié du Ier siècle.
Quant au Centurion mentionné dans les évangiles de Matthieu et de Luc, c'est un officier du roi dans l'Évangile de Jean; or, en grec, βασιλικός, signifie rarement «officier du roi», comme on le traduit dans la plupart des évangiles, mais plus fréquemment «ambassadeur royal» et il est plus que probable qu'en Judée à l'époque de Jésus, était présent un ambassadeur d'Izatès, éventuellement de sa propre famille. Cet ambassadeur est certainement, comme son roi, un converti au judaïsme. Dans les années 140, date raisonnable pour la rédaction définitive des évangiles, il était devenu délicat de parler en bien de la famille Monobaze qui avait conduit la révolte anti-romaine des Communautés juives en 115–118, du moins en Asie Mineure et en Syrie. Signalons qu'en 70, les fils d'Izatès combattaient aux côtés des insurgés juifs et furent capturés par Titus.
Dans les premiers versets du chapitre 20 de l'Évangile de Matthieu, nous lisons une curieuse parabole, celle des ouvriers de la dernière heure. Un vigneron engage des ouvriers à différents moments de la journée, mais chacun est payé au même prix qu'il ait travaillé 12 heures, 3 heures, ou même une seule heure.
Le commencement de la parabole est plus qu'étrange; en effet, Jésus dit:
1. Car le royaume des cieux est semblable à un maître de maison qui sortit dès le matin, afin de louer des ouvriers pour sa vigne, etc.
Le «car le royaume des cieux» implique que Jésus a dit quelque chose avant, mais quoi? La parabole ouvre le chapitre, cela ne peut donc que se référer au chapitre précédent, le 19 donc. Si on regarde ce chapitre, on y lit successivement des débats sur le divorce (19, 1–9), sur la continence (19, 10–12), sur les enfants (19, 13–15), sur le riche qui aime trop les richesses (19, 16–26) et sur la récompense promise au détachement (19, 27–30); le chapitre 19 se termine ici.
La parabole dit ceci:
1. Car le royaume des cieux est semblable à un maître de maison qui sortit dès le matin, afin de louer des ouvriers pour sa vigne. 2. Il convint avec eux d’un denier par jour, et il les envoya à sa vigne. 3. Il sortit vers la troisième heure, et il en vit d’autres qui étaient sur la place sans rien faire. 4. Il leur dit : Allez aussi à ma vigne, et je vous donnerai ce qui sera raisonnable. 5. Et ils y allèrent. Il sortit de nouveau vers la sixième heure et vers la neuvième, et il fit de même. 6. Étant sorti vers la onzième heure, il en trouva d’autres qui étaient sur la place, et il leur dit : “Pourquoi vous tenez-vous ici toute la journée sans rien faire ?” 7. Ils lui répondirent : “C’est que personne ne nous a loués.” — “Allez aussi à ma vigne”, leur dit-il. 8. Quand le soir fut venu, le maître de la vigne dit à son intendant : “Appelle les ouvriers, et paie-leur le salaire, en allant des derniers aux premiers.” 9. Ceux de la onzième heure vinrent, et reçurent chacun un denier. 10. Les premiers vinrent ensuite, croyant recevoir davantage ; mais ils reçurent aussi chacun un denier. 11. En le recevant, ils murmurèrent contre le maître de la maison, 12. et dirent : “Ces derniers n’ont travaillé qu’une heure, et tu les traites à l’égal de nous, qui avons supporté la fatigue du jour et la chaleur.” 13. Il répondit à l’un d’eux : “Mon ami, je ne te fais pas tort ; n’es-tu pas convenu avec moi d’un denier ? 14. Prends ce qui te revient, et va-t’en. Je veux donner à ce dernier autant qu’à toi. 15. Ne m’est-il pas permis de faire de mon bien ce que je veux ? Ou vois-tu de mauvais œil que je sois bon ?” 
Comme on le constate, il n'y a même pas un Jésus dit, pour commencer, on doit donc supposer que cette parabole illustre les propos que Jésus a dits à la fin du chapitre précédent. Dans celle-ci, il dit:
27. Pierre, prenant alors la parole, lui dit : «Voici, nous avons tout quitté, et nous t’avons suivi ; qu’en sera-t-il pour nous?» 28. Jésus leur répondit: «Je vous le dis en vérité, quand le Fils de l’homme, au renouvellement de toutes choses, sera assis sur le trône de sa gloire, vous qui m’avez suivi, vous serez de même assis sur douze trônes, et vous jugerez les douze tribus d’Israël. 29. Et quiconque aura quitté, à cause de mon nom, ou ses maisons, ses frères, ou ses sœurs, ou son père, ou sa mère, ou sa femme, ou ses enfants, ou ses terres, recevra le centuple, et héritera la vie éternelle.»
Bien malin qui trouvera un rapport entre la fin du chapitre 19 et la parabole du chapitre 20. 

Ce débat avec les apôtres, pas plus que les précédents ne peuvent expliquer la parabole; auquel cas nous sommes obligé de supposer qu'il manque quelques versets au chapitre 20 qui devaient introduire la parabole et qui furent perdus ou effacés pour d'obscures raisons.
Le fondement de la parabole est que des ouvriers reçoivent le même salaire, quelque soit la durée de leur travail. 
Un tel propos ne peut s'expliquer que dans un cadre polémique en ce qui concerne les convertis au judaïsme. 
En effet, il existait au sein des écoles juives anciennes différentes attitudes face à la conversion. La position rabbinique que nous supposons être la position héritée des anciens pharisiens est la suivante: Le non-juif qui se convertit devient un gèr_tsedeq ou «prosélyte de justice»; il ne devient jamais Juif, par contre sa descendance est juive (y compris si son épouse est non-juive et qu'elle aussi est une «prosélyte de justice». Ceci est la conception suivant Hillel de la conversion, il est possible que les disciples de Rabbi Shammay étaient plus hostiles aux conversions. Les positions des autres écoles ne nous sont pas connues de manière directe, mais on peut déduire la position sadducéenne des écrits de Flavius Josèphe. En effet, Jean Hyrcan, après la conquête de l'Idumée a converti les iduméens au judaïsme; or les iduméens sont restés iduméens, y compris leur descendance, tout en étant juifs. Cela implique qu'à l'époque hasmonéenne, les sadducéens établissaient une différence entre le Juif suivant l'ethnie et le Juif suivant la religion. Ainsi, un Juif était Juif par l'ethnie et par la religion, alors qu'un Iduméen était iduméen par l'ethnie et Juif par la religion; pour l'ancien sadducéisme, les descendants des convertis iduméens ne devenaient jamais Juifs, mais étaient de religion juive, avec les mêmes droits et les mêmes obligations que n'importe quel Juif, y compris au niveau du mariage; peut-être même étaient-ils considérés comme une XIIIe tribu. 
Le passage manquant devait certainement contenir une polémique concernant l'égalité des récompenses entre les convertis et les Juifs, et dans laquelle Jésus affirme que l'ancienneté de la Judéité (la judéité ethnique) ne procure pas une meilleure récompense que la judéité non-ethnique (les conversions). Des passages relatifs à Jésus dans le Talmud, un de ceux-ci suggère que Jésus avait d'innombrables disciples non-juifs qui, mal formés et trop nombreux, finirent par repenser ses enseignements; c'est de là que naîtra le christianisme paulien, par scission avec le christianisme nazaréen ou jacquien qui est le christianisme original.

Reste à comprendre pourquoi le passage introductif est manquant. La réponse n'est pas très compliquée, si Jésus a converti des hommes de son vivant, il ne peut les avoir converti qu'au judaïsme, avec plus que probablement la circoncision de ceux-ci, laisser un tel passage revient à dire que la religion de Jésus n'est pas le christianisme mais le judaïsme, et que ce qu'il a enseigné n'est rien d'autre que la Torah. Or, pour les rédacteurs des évangiles, Jésus ne s'ouvre aux non-juifs qu'après sa résurrection, avant il demeure hostile envers eux, mais ce n'est qu'un processus littéraire pour justifier la rupture du christianisme et du judaïsme.








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