samedi 30 avril 2016

La Parabole des sept esprits contient-elle une accusation contre les collaborateurs des Romains?

En Matthieu 12, 43–45 et en Luc 11, 24–26, nous lisons le passage suivant:
Lorsque l’esprit impur est sorti d’un homme, il va par des lieux arides, cherchant du repos, et il n’en trouve point. Alors il dit: «Je retournerai dans ma maison d’où je suis sorti» — et, quand il arrive, il la trouve vide, balayée et ornée. Il s’en va, et il prend avec lui sept autres esprits plus méchants que lui; ils entrent dans la maison, s’y établissent, et la dernière condition de cet homme est pire que la première. Il en sera de même pour cette génération méchante.
Chez Matthieu la péricope suit les deux péricopes sur la génération méchante et adultère; alors que chez Luc elle les précède. 
La mention des sept esprits qui envahissent une personne nous avait d'abord fait penser à des allusions astrologiques et nous étions conforté dans cette interprétation par des similitudes avec les Testaments des Douze Patriarches (Testament de Ruben 2, 1–9 & 3, 1–8) 
Et maintenant, écoutez, mes enfants, ce que j’ai vu quant aux sept esprits d’égarement pendant ma repentance. Sept esprits ont été distribués à l’homme, ce sont les responsables des méfaits de la jeunesse. [Sept esprits lui ont été donnés lors de la création, pour que par eux soit accomplie toute œuvre humaine. Le premier est l’esprit de vie, par lequel est établie la constitution de l’homme ; le deuxième est la vue, d’où naît le désir ; le troisième est l’ouïe qui permet l’enseignement ; le quatrième est l’odorat, d’où naissent les odeurs pour inspirer et pour expirer ; le cinquième est le langage, d’où naît la connaissance ; le sixième est le goût, qui nous fait manger et boire et qui produit la force, car dans la nourriture est le fondement de la force ; le septième est celui de la procréation et de l’acte charnel, par qui s’unissent, au travers de la sensualité, les péchés. Aussi, est-ce le dernier dans l’ordre de la création et le premier dans l’ordre de la jeunesse, car il est rempli d’ignorance, et c’est cette dernière qui conduit le jeune homme comme un aveugle dans la Fosse et comme un animal dans le précipice.] Il y a en outre un huitième esprit, celui du sommeil, qui produit l’extase et l’apparence de la mort. À tous ces esprits se mêlent les esprits de l’égarement. Le premier, celui de la luxure, réside dans la nature et dans les sens ; le deuxième, l’esprit de la gloutonnerie réside dans le ventre ; le troisième, l’esprit de querelle, réside dans le foie et dans la bile ; le quatrième, l’esprit de la coquetterie et d’ensorcellement, vise à séduire grâce à des artifices ; le cinquième, l’esprit d’orgueil, pousse à la vantardise et à la fatuité ; le sixième, l’esprit de mensonge, pousse à forger des fables contre son ennemi et son adversaire, et à cacher ses sentiments à ses parents et à ses proches ; le septième, l’esprit d’injustice, d’où viennent les vols et bénéfices, tend à satisfaire, les appétits du cœur voué à l’amour du plaisir ; l’injustice a, en effet, des relations d’affaires avec les autres esprits. À tous ces esprits, se joint par l’égarement et l’illusion, l’esprit du sommeil qui est le huitième esprit. Ainsi périssent tous les jeunes gens qui enténèbrent leurs esprits loin de la vérité, sans comprendre la Loi de Dieu ni entendre les avertissements de leurs pères, comme j’en fis moi-même la triste expérience dans ma jeunesse. 
Mais aussi avec Philon d'Alexandrie (De Opificio mundi §§117–119) qui écrit:
Mais, puisque les réalités terrestres dépendent des réalités célestes en vertu d’une certaine sympathie naturelle, la raison de l’hebdomade, ayant tiré son origine des sphères supérieures, est descendue vers nous, en entrant en rapport avec les races mortelles. Par exemple, la partie qui est en dehors de notre centre directeur, se divise en sept : les cinq sens, l’organe de la phonation et enfin la puissance génitale. Toutes ces parties, comme dans les spectacles des marionnettes, commandées par le centre directeur au moyen de fols, tantôt restent en repos, tantôt se meuvent, chacune selon les figures et les mouvements qui lui sont appropriés. Il en est de même du corps ; si on entreprend d’en examiner les parties externes et les parties internes, on trouvera le nombre sept à propos des unes et des autres. Ce qui apparaît à l’extérieur, c’est la tête, la poitrine, le ventre, les deux bras et les deux jambes ; et ce qui, à l’intérieur, porte le nom de viscères, c’est l’estomac, le cœur, le poumon, la rate, le foie et les deux reins. La tête à son tour, qui est dans l’animal le centre principal de direction, dispose de sept organes très nécessaires que voici : les deux yeux, les deux oreilles, les deux narines, et en septième lieu, la bouche, par où se fait, comme dit Platon, l’entrée des choses périssables, et la sortie des choses incorruptibles. Car c’est par là que pénètrent les aliments et les boissons, nourriture corruptible d’un corps corruptible, et que sortent les paroles, lois immortelles de l’âme immortelle, par lesquelles la vie rationnelle est gouvernée. [Texte établi, introduit, traduit et annoté par Roger Arnaldez. Paris, Éditions du Cerf, 1961.] 
Néanmoins ces deux textes n'éclairent pas réellement la Parabole des Sept Esprits.
Lagrange dans son étude sur l'Évangile de Matthieu, y voit une prophétie de la condition des Juifs suite à leur refus du Christ, à cause de la mention et la dernière condition de cet homme est pire que la première; cette interprétation est purement chrétienne et ne colle que très difficilement avec la texte, à moins de voir dans Jésus l'esprit impur expulsé du corps. En réécrivant le texte on peut effectivement y trouver une interprétation astrologique ou chrétienne, mais tel quel ce texte n'a pas d'aspects astrologiques ou chrétiens.
Venons-en au sens exact qui n'est pas aussi compliqué à trouver qu'on veut le croire.
Dans un précédent article, nous avions montré que la personne après qui le royaume fut le proie des violents, n'était pas Jean (Matthieu précise le Baptiste, Luc pas), mais Alexandre Jannée, en effet on pense souvent à tort que Jannée (Yannây) est la forme araméenne de Jean (hébr. Yohanan), alors que c'est la forme araméenne de Jonathan (hébr. Yônathan). On ne pouvait faire meilleur éloge de ce grand roi, sous son règne la Judée se dirigeait vers un statut de grande puissance, et sans les révoltes pharisiennes, la Judée aurait pu devenir une puissance concurrente à celle de Rome.
Venons-en à la parole de Jésus, l'allégorie est très simple et nous allons en donner le sens exact:
Lorsque l’esprit impur [les idées pharisiennes] est sorti [Jean Hyrcan et Alexandre Jannée ont supprimé les traditions pharisiennes] d’un homme [donc de la Judée], il va par des lieux arides [les pharisiens se sont réfugiés en Syrie Séleucides], cherchant du repos, et il n’en trouve point. [probable passage manquant, se référant à la mort de Jannée et à l'avènement de Salomé Alexandra.] Alors il dit: «Je retournerai dans ma maison d’où je suis sorti» [Salomé Alexandra autorise les insurgés à rentrer en Judée] — et, quand il arrive [donc quand les pharisiens se réinstallent en Judée], il la trouve vide [les traditions orales pharisiennes ne sont plus appliquées], balayée [le Temple a été purifié de leurs traditions d'hommes] et ornée. [les interprétations scripturalistes de la Torah sont appliquées au Temple et en Judée.] [passage manquant] Il s’en va [il va demander de l'aide aux nations étrangères], et il prend avec lui sept autres esprits [Les sept esprits sont les sept planètes, ce qui implique que par la complicité de certains Israël est soumis aux puissances astrales] plus méchants que lui; ils [les Romains] entrent dans la maison [la Judée], s’y établissent [les Romains occupent la Judée, puisqu'on les y a invité et se mettent à décider de tout], et la dernière condition de cet homme est pire que la première [la Judée est occupée et sa situation ne s'améliore pas, occupation romaine, guerre civile, Hérode, Archélaos, et les Romains.] Il en sera de même pour cette génération méchante [Ce passage étant absent chez Luc, il est possible d'y voir une glose explicative de Matthieu; sinon, cette génération, celle de Jésus donc, est méchante parce qu'elle refuse de se révolter contre Rome malgré l'oppression qu'elle subit de la part de l'occupant romain].
On peut faire ce que l'on veut, tourner le texte comme on veut et excepter de le réécrire dans sa totalité, notre interprétation est parfaitement conforme au texte.
Jésus, celui de l'histoire, pas celui fabriqué par le christianisme, s'inscrit dans le nationalisme judéen révolutionnaire de son temps; ses polémiques sont celles d'un chef d'école opposé à la tradition orale pharisienne, accusée de souiller le Temple (autorisation des sacrifices d'animaux gravides, laisser-aller dans le culte du Temple en autorisant les païens à y faire des offrandes sans qu'il ne leur soit demander de se convertir, rappelons qu'une offrande faite au Temple doit être moralement pure, les prêtres sont tenus de vérifier que l'argent qui sert à financer le sacrifice a été honnêtement gagné et ne provient pas d'un crime sans quoi le Temple s'en trouve souillé, etc.), mais aussi de trouver un compromis avec l'occupation étrangère. Flavius Josèphe mentionne que les pharisiens ont plusieurs fois proposé aux Romains de mettre fin au règne d'Hérode et qu'ils maintiendraient l'ordre en Judée en leur nom; mais les Romains ne leur faisaient pas confiance.
Le mouvement assidéen qui suivit Judas Macchabée s'inscrit pleinement dans cette volonté de faire de la Judée un État indépendant. Les pharisiens qui sont les descendants des Hommes de la Grande Assemblée, sont ceux qui étaient prêts à faire un compromis avec l'occupant, d'abord babylonien, ensuite égyptien, puis syrien. S'il est vrai que l'occupation égyptienne fut relativement clémente (les rapports entre les grands-prêtres et les lagides étaient excellents), la situation avec les Séleucides va très vite se dégradée: assassinat d'Onias III, hellénisation de la Judée, mise à sac du Temple et persécution généralisée. Une telle situation n'est pas sans rappeler celle des Juifs en Allemagne au XIXe siècle et pendant le IIe Reich (1871–1919) qui était excellente (pas parfaite certainement, mais excellente quand même); puis viendra la défaite de 1919 et ensuite Hitler et les horreurs que l'on sait. Le nazisme a démontré aux Juifs que la domination étrangère même quand elle est douce peut connaître des revirements qui rend nécessaire l'existence d'un État indépendant afin de se prémunir d'un nouveau génocide. La situation de l'État d'Israël n'est d'ailleurs pas sans rappeler les époques de Jean Hyrcan et d'Alexandre Jannée. En effet, les actions terroristes palestiniennes et les incertitudes dans le monde arabe obligent Israël à gonfler son budget militaire au détriment d'autres services; comme les menaces séleucides ont obligé Hyrcan et Jannée à augmenter les taxes pour renforcer la puissance judéenne, suscitant des révoltes qui paradoxalement affaibliront la Judée; à la mort de Jannée, ces taxes seront abolies par Salomé Alexandra et la Judée est devenue ainsi une nation sans défense qui tombera facilement sous la coupe de Rome en –63. Ces pharisiens ne sont pas sans rappeler ceux de Naturei Karta qui combattent Israël, voire aussi ces Juifs qui préfèrent étudier la Torah que remplir leurs obligations militaires. Imaginons qu'alors que Dieu disait à Moïse d'aller délivrer son peuple, Moïse lui aurait répondu: mais Seigneur, je dois étudier ta Torah; ou que Josué au lieu de partir conquérir Canaan aurait dit à Dieu qu'il ne pouvait pas parce qu'il devait étudier Sa Torah: si Moïse et Josué avaient agi ainsi les Juifs auraient disparu depuis longtemps.
Le Jésus de l'histoire s'inscrit dans une tendance radicale: sacerdotale, militariste, anti-romaine, fermée aux païens mais ouverte aux conversions.
On nous répondra comme d'habitude que d'autres passages montrent d'autres tendances en Jésus, et c'est exact. Mais, certaines choses ne sont pas possibles, Jésus ne sait pas dire qu'il faut appliquer tous les commandements y compris les moindres, et dire que la sabbat, la casheroute et la circoncision ne sont pas importants, alors qu'il s'agit de commandements majeurs. Et si deux Jésus contradictoires coexistent dans les évangiles, lequel est l'original? Celui qui pardonne ou le radical? Celui qui pardonne est le même qui soutient Rome, et le radical est celui qui s'oppose à Rome et aux pharisiens. Comme les auteurs des évangiles dans les années 130 sont en guerre contre les Rabbins et que ces derniers sont identifiés aux pharisiens, un Jésus qui attaque ces mêmes pharisiens ne devait pas leur déplaire sans pour autant qu'ils se rendent complètement compte que ce que le Jésus de l'histoire reproche aux pharisiens c'est leur volonté de compromis avec Rome. Eux-mêmes gommeront les passages trop nationalistes judéens des paroles de Jésus tout en laissant passer quelques unes pour lesquelles ils ne comprenaient pas les aspects révolutionnaires. Ils feront de Jésus un paradoxe, opposé aux pharisiens qui acceptent le compromis avec Rome, ils le présenteront comme un bon Juif soumit aux Romains, et s'inscrivent dans la droite ligne des passages de Flavius Josèphe qui accuse les pharisiens d'être responsable de la révolte contre Rome, alors qu'historiquement cette révolte fut sadducéenne et assidéenne, et donc hostile aux pharisiens, même si certains d'entre eux y participèrent. Flavius Josèphe eut le don de jouer sur les mots, il dit que les zélotes sont des pharisiens; il sait parfaitement qu'assidéens et rabbins affirmaient tous les deux détenir l'interprétation exacte [en hébreu perush, donc pharisiens] de la Torah et que tous les deux accusaient l'autre école de se séparer [en hébreu perush, donc pharisiens] de la droite voie.

— Stephan HOEBEECK

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