mercredi 13 avril 2016

Le sens véritable de la guérison du lépreux...

À ceux qui veulent réviser le christianisme, on les accuse d'utiliser beaucoup de «si»; et cela est vrai, contredire une tradition vénérable n'est en rien facile, d'autant plus que ce que nous avons ce sont des copies de copies de copies, etc...
Pourtant deux documents sont venus jeter le trouble: l'Évangile de Thomas et le papyrus egerton. Autant le premier est connu, autant le second est inconnu. Le premier a montré que des hommes se sont intéressés à Jésus non pour sa résurrection et son salut, mais pour sa sagesse; quant au second, le papyrus egerton, il est considéré comme plus ancien que les évangiles canoniques et semble dater des années 120. Il donne de très curieuses leçons qui montrent l'évolution textuelle des textes primitifs à égerton et d'egerton aux évangiles canoniques. 
Le papyrus egerton présente une version primitive de la guérison du lépreux, que l'on trouve dans les évangiles synoptiques (Matthieu 8, 2–4; Marc 1, 40–45; Luc 5, 12–16) qui modifie considérablement la compréhension qu'on peut avoir du texte.
Nous allons donc faire une lecture synoptique d’egerton (trad. Menahem), de Matthieu, de Marc, de Luc et des sources bibliques. En effet, la guérison des évangiles n’est pas sans rappeler celle que fit Élisée pour Nachman, un général de l’armée syrienne, qui fut frappé par la lèpre (IIe Livre des Rois, chapitre V). Voici son histoire que nous interromperons quand elle deviendra convergente avec les évangiles:
Naaman, général d’armée du roi de Syrie, était un homme considérable et en grande faveur chez son maître, parce que le Seigneur avait donné par lui la victoire à la Syrie; mais cet homme, ce vaillant guerrier, était lépreux. Or, les Syriens, ayant fait une incursion sur le territoire d’Israël, en ramenèrent captive une jeune fille, qui entra au service de l’épouse de Naaman. Elle dit à sa maîtresse : « Ah ! Si mon maître s’adressait au prophète qui est à Samarie, certes il le délivrerait de sa lèpre. » Naaman vint l’annoncer à son maître, disant : « Voilà ce qu’a dit cette jeune fille, qui est du pays d’Israël. » Le roi de Syrie répondit : « Va, pars ; je veux envoyer une lettre au roi d’Israël. » Et il partit, emportant dix kikkar d’argent, six mille pièces d’or et dix habillements de rechange. Il remit au roi d’Israël la lettre, ainsi conçue : « Au moment où cette lettre te parviendra, sache que j’ai envoyé vers toi Naaman, mon serviteur, pour que tu le délivres de sa lèpre. » À la lecture de cette lettre, le roi d’Israël déchira ses vêtements et dit : « Suis-je donc un dieu qui fasse mourir et ressuscite, pour que celui-ci me mande de délivrer quelqu’un de sa lèpre ? Mais non, sachez-le bien et prenez-y garde, c’est qu’il me cherche querelle. » Cependant, Élisée, l’homme de Dieu, ayant appris que le roi d’Israël avait déchiré ses vêtements, fit dire au roi : « Pourquoi as-tu déchiré tes vêtements ? Qu’il vienne me trouver, et il saura qu’il est des prophètes en Israël ! » (II Rois 1, 1–8.)
Voyons maintenant le synopse de tous ces textes (cliquer pour agrandir):


Nous savons que de telles lectures synoptiques sont très complexes, c’est pourtant le seul moyen pour comprendre les écritures et les réécritures. Nous avons supprimé toute la fin de l’histoire de Naaman, mais nous la donnons en note afin qu’on ne nous reproche pas d’avoir omis quoi que ce soit. La partie finale contient d’ailleurs une similitude avec les évangiles : en effet, Naaman veut faire une offrande à Élisée qui refuse, mais son serviteur appelé Ghéhazi est plus intéressé, et fait croire à Naaman qu’Élisée a changé d’avis, Naaman lui donne le double de ce qu’il désire, et le serviteur part cacher cette offrande chez lui ; mais Élisée n’est pas dupe, et le serviteur devient lépreux comme châtiment. Ce qui n’est pas sans rappeler le passage des évangiles où il est dit :
Allez, prêchez, et dites : « Le royaume des cieux est proche. » Guérissez les malades, ressuscitez les morts, purifiez les lépreux, chassez les démons. Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement. [Matthieu 10, 7–8.]
Autrement dit n’acceptez pas de dons pour vos actions théurgiques !
Notons en premier que dans la XIVe de ses Antithèses, Marcion dit :
Élisée, le prophète du Dieu créateur [c’est-à-dire le Démiurge, donc yhwh, qui n’est pas le vrai Dieu d’après Marcion], parmi tant de lépreux israélites, n’a purifié qu’un seul lépreux, le Syrien Naaman, le Christ, bien qu’il soit «l’étranger», a guéri un Israélite que son Seigneur (le Créateur du monde) n’avait pas voulu guérir [nous ne comprenons pas ce que Marcion veut dire par là, mais il est possible que dans une version qu’il lisait ou qu’il a composé lui-même, l’israélite pourrait avoir raconté qu’il avait demandé au Seigneur d’être guéri, et qu’il n’avait obtenu aucune réponse], et Élysée avait besoin de matière pour la guérison, à savoir de l’eau, et sept fois de suite, mais le Christ a guéri par une simple et unique parole, etc. Élysée n’a guéri qu’un seul lépreux, le Christ en a guéri dix [ce passage est en Luc 17, 11–19] et ceci contre les stipulations de la loi [nous ne comprenons pas non plus à quoi Marcion fait allusion] ; il les laissa simplement aller leur chemin pour qu’ils se montrent aux prêtres et il les purifia déjà en chemin sans les toucher et sans une parole, par une force silencieuse, simplement par sa volonté.
De ce qui précède Marcion connaissait probablement encore une autre version du miracle qu’il peut, très bien, avoir composé lui-même.
La guérison des dix lépreux [Jésus, se rendant à Jérusalem, passait entre la Samarie et la Galilée. Comme il entrait dans un village, dix lépreux vinrent à sa rencontre. Se tenant à distance, ils élevèrent la voix, et dirent : « Jésus, maître, aie pitié de nous ! » Dès qu’il les eut vus, il leur dit : « Allez vous montrer aux sacrificateurs. » Et, pendant qu’ils y allaient, il arriva qu’ils furent guéris. L’un deux, se voyant guéri, revint sur ses pas, glorifiant Dieu à haute voix. Il tomba sur sa face aux pieds de Jésus, et lui rendit grâces. C’était un Samaritain. Jésus, prenant la parole, dit : « Les dix n’ont-ils pas été guéris ? Et les neuf autres, où sont-ils ? Ne s’est-il trouvé que cet étranger pour revenir et donner gloire à Dieu ? » Puis il lui dit : « Lève-toi, va ; ta foi t’a sauvé. »] en Luc 17, 11–19 est certainement une composition de Marcion ou des Samaritains qui ont tronqué les évangiles; on estime en général que la forme primitive des évangiles destinée aux païens a été composée par un Samaritain qui a essayé de monter les chrétiens contre les Juifs, en présentant ces derniers comme malveillants et les Samaritains comme bienveillants.
Venons-en donc à la critique des évangiles et notons les différences fondamentales entre les deux versions, celle d’egerton et celle des synoptiques qui, malgré leurs différences, restent similaires et issues de la même source ou de la même falsification :

  • dans l’évangile d’Egerton, le lépreux ne se prosterne pas devant Jésus, alors que dans les synoptiques, il est déifié ;
  • dans l’évangile d’Egerton, le lépreux fournit une explication de sa contamination, d’ailleurs pas très cohérente et absente des synoptiques ;
  • dans l’évangile d’Egerton, Jésus ne touche pas le lépreux (un interdit biblique), alors que dans les synoptiques, il touche le lépreux ; notons que Naaman, le général syrien qui vient auprès d’Élisée pour être guéri, se plaint de ne pas être touché par le prophète ;
  • notons une différence propre à l’Évangile de Marc, la version officielle dit que « Jésus fut ému de compassion », alors que le Codex Bezæ a « Jésus se mettant en colère », on en ignore la raison.
  • l’évangile d’Egerton ne contient pas les gloses explicatives sur le secret qui doit entourer sa guérison ; idée d’ailleurs contradictoire avec l’injonction que Jésus lui fait d’aller se montrer aux prêtres afin qu’ils constatent sa guérison.

Commençons par la fin, les gloses explicatives sur le secret, sont certainement des éxagérations des évangélistes; en effet, sans celles-ci on aurait l’impression que Jésus est un vantard.
La mention du Codex Bezæ sur Jésus se mettant en colère est compatible avec l’explication que donne le lépreux sur sa contamination (j’ai fréquenté des lépreux et j’ai attrapé la lèpre...)
L’insistance avec laquelle les évangiles affirment que Jésus le toucha, n’est pas un geste de compassion infinie, mais plus prosaïquement, l’affirmation que Jésus se fout éperdument des normes de pureté qui sont décrites de la Torah et de ses interdits.
L’évangile d’egerton ne déifie pas Jésus.
L’explication que donne le lépreux est la clé du passage, c’est pour cela qu’elle fut supprimée des synoptiques  : en effet, qui serait assez fou pour voyager et pour manger avec des lépreux, alors que cette maladie était la terreur de populations entières. Rappelons qu’il n’existait aucun moyen de guérison, en plus, une telle maladie condamnait celui qui l’attrapait à vivre en marge de la société: ni son épouse, ni ses enfants ne pouvaient l’approcher de peur d’être contaminés et de devenir comme lui. En fait, il ne s’agit pas d’un lépreux, mais simplement d’une personne qui est devenue impure. Cette révision permet de comprendre le passage conservé dans le Codex Bezæ, qui dit que Jésus se mit en colère. Mais si c’est un pécheur qui a contracté des impuretés en voyageant, pourquoi vient-il trouver Jésus ? La moins mauvaise solution consiste à supposer que ce pécheur a voyagé d’un camp essénien à un autre, et qu’ayant contracté des impuretés, probablement par imprudence, il demande au maskîl (le chef d’un camp essénien, notons que l’un des sens de maskîl est enseignant, le titre donné à Jésus dans la papyrus egerton ) de la purifier par sa puissance spirituelle. On a retrouvé des manuscrits esséniens qui suggèrent de telles actions comme 4q434 ou 4q512, même si ceux-ci sont trop fragmentaires pour qu’on puisse conclure avec une totale certitude.
Nous proposons donc la reconstitution suivante, les passages en italiques sont de nous : 
[Et un homme venant au camp de sainteté, se présenta à l’enseignant qui était Jésus], et il dit : «Enseignant Jésus, en voyageant avec des pécheurs et en mangeant avec eux, je suis moi-même devenu impur. Si tu le veux donc, je deviendrais pur.» Jésus, se mettant en colère, le rabroua, et il lui dit: «Je le veux, sois pur.» Et son impureté l’a alors quitté. Et Jésus dit : « Va, présente-toi aux prêtres et offre [des offrandes] concernant la purification que Moïse a ordonnée, et ne pèche plus [=fais plus attention une prochaine fois]. » [Et l’homme entra alors dans le camp.]
Il n'y a aucun miracle, seulement une purification spirituelle. Le papyrus d'egerton est un évangile d'époque moyenne pendant laquelle les chrétiens commençaient à déifier Jésus tout en conservant les enseignements de la Torah. Dans les versions révisées des évangiles, les canoniques, Jésus sera alors totalement déifié et la Torah rejetée quasi complètement.

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