vendredi 4 mars 2016

Jésus le Nazaréen, mais qu'est-ce qu'un Nazaréen? Les origines révolutionnaires du christianisme.

Examinons ces termes grecs et les termes hébreux auxquels pourraient correspondre le mot nazaréen.
Que signifient les mots grecs ναζωραῖος, donc nazôraios et Ναζαρηνός, donc nazarenos ? La grande majorité des traducteurs estiment que ces mots veulent dire nazaréen. La seconde question est évidemment de comprendre ce que veut dire «nazaréen»? La grande majorité des traducteurs affirme que ce mot désigne un «habitant de Nazareth», mais un habitant de cette ville ne serait-il pas plutôt un nazarèthien? Ce terme les ennuie terriblement: en effet, des religions rivales du christianisme qui se référaient soit à Jean le Baptiste soit aux pratiques juives, s’appelaient elles-mêmes «Nazaréisme», et leurs adeptes s’appelaient des «nazaréens»: il n’y a guère de doute qu’ils ne se considéraient pas comme des habitants de Nazareth ni comme les disciples d’un habitant de Nazareth.
Les mots nazôraios et nazarenos sont utilisés une dizaine de fois dans le Nouveau Testament, principalement attaché au nom de Jésus, on trouve (nous ne tenons pas compte des déclinaisons) :
  • Jésus le Nazôraios en Matthieu 26, 71 ; en Luc 18, 37 ; en Jean 18, 5 ; 18, 7 ; et 19, 19 ; & dans les Actes 2, 22 ; 3, 6 ; 4, 10 ; 6, 14 ; 22, 8 ; et 26, 9.
  • Jésus Nazarenos (sans article) en Marc 1, 24 et en Luc 4, 34.
  • Jésus le Nazarenos (avec article) en Marc 10, 47 et en Luc 24, 19.

Dans presque toutes les traductions, on lit «Jésus de Nazareth».
On trouve encore une mention de nazarenos en Marc 16, 6 :
... Vous cherchez Jésus, le nazarénien crucifié.
On trouve deux mentions de nazôraios qui sont pas attachées à Jésus, dans les passages suivants :
Et [il] vint demeurer dans une ville appelée Nazareth, afin que s’accomplît ce qui avait été annoncé par les prophètes : Il sera appelé Nazôraios. [Mt. 2, 23.]
Nous avons trouvé cet homme, qui est une peste, qui excite des divisions parmi tous les Juifs du monde, qui est chef de la secte des Nazaréens [prôtostaten tè tes tôn Nazôraiôn airèsèôs.] [Actes 24, 5.]
Nazareth possède trois orthographes dans le Nouveau Testament: Nazareth, Nazareth et Nazara:
  • Nazaret (Ναζαρέτ) se trouve en Matthieu 2, 23; Marc 1, 9; et Jean 1, 45–46.
  • Nazreth (Ναζαρὲθ) se trouve en Matthieu 21, 11; Luc 1, 26; 2, 4; en 2, 39; et en 2,  51. 
  • Le Nouveau Testament mentionne aussi la ville de Nazara (Ναζαρά) où il [Jésus] avait été élevé d’après Luc 4, 16, et abandonnant Nazara, il alla habiter à Capernaüm sur le bord de la mer dans les territoire de Zabulon et de Naphtali d’après Matthieu 4, 13; mais cette ville étant inconnue, la plupart des auteurs estiment que c’est un synonyme de Nazareth, ce qui fait que dans certains manuscrits les copistes ont corrigé Nazara en Nazareth, ce que font aussi des nombreux traducteurs.

Lorsqu’on traduit Iesou o Nazôraios par Jésus de Nazareth, certains traducteurs devraient quand même réfléchir que l’on trouve Iesou apo Nazaret tès Galillaias (Marc 1, 9), qui signifie bien «Jésus de Nazareth en Galilée». À partir du moment où Iesou apo Nazaret est attesté, c’est que Iesou o Nazôraios ne signifiait certainement pas «de Nazareth»; mais peut-être veulent-ils effacer toute référence à l’ancien nazaréisme.
Personnellement, nous pensons que toutes ces mentions de Nazareth sont des fables pour effacer que Jésus était un nazaréen. Mais qu’est-ce qu’un nazaréen?
Nazarenos/Nazôraios est forcément la grécisation d’un mot hébreu, et les seuls qui peuvent correspondre sont: nazîr (נזיר) qui signifie «consacré», nezèr (נזר) qui signifie «diadème, couronne», natzar (נצר) qui signifie «garder, observer avec rigueur», d’où notzerîm, (נצרים) les «sentinelles» et netzer (נצר) qui signifie «rejeton». Un de ces quatre est forcément celui qui a servi à former nazaréen.
La première idée est que ce mot dérive du mot hébreu nazîr, ce qui aurait fait de Jésus un nazîr, une sorte de moine juif, c’est quelqu’un qui prend des vœux d’abstinence ; ces vœux sont définis en Nombre 6, 1–21 :
... Si un homme ou une femme fait expressément vœu d’être abstème, voulant s’abstenir en l’honneur de l’Éternel, il s’abstiendra de vin et de boisson enivrante, ne boira ni vinaigre de vin, ni vinaigre de liqueur, ni une infusion quelconque de raisins, et ne mangera point de raisins frais ni secs. Tout le temps de son abstinence, il ne mangera d’aucun produit de la vigne, depuis les pépins jusqu’à l’enveloppe. Tout le temps stipulé pour son abstinence, le rasoir ne doit pas effleurer sa tête : jusqu’au terme des jours où il veut s’abstenir pour l’Éternel, il doit rester sain, laisser croître librement la chevelure de sa tête. Tout le temps de cette abstinence en l’honneur de l’Éternel, il ne doit pas approcher d’un corps mort ; pour son père et sa mère, pour son frère et sa sœur, pour ceux-là même il ne se souillera point à leur mort, car l’auréole de son Dieu est sur sa tête. Tant qu’il portera cette auréole, il est consacré au Seigneur. Si quelqu’un vient à mourir près de lui inopinément, ce sera une souillure pour sa tête consacrée : il rasera sa tête le jour de sa purification, le septième jour il la rasera. Puis, le huitième jour, il apportera deux tourterelles ou deux jeunes colombes au pontife, à l’entrée de la tente d’assignation. Le pontife offrira l’une comme expiatoire, l’autre comme holocauste, et fera expiation pour lui du péché qu’il a commis par ce cadavre ; et il consacrera de nouveau sa chevelure en ce jour. Il vouera au Seigneur la même période d’abstinence et il offrira un agneau âgé d’un an comme délictif ; pour les jours antérieurs, ils seront nuls, parce que son abstinence a été violée. ... Alors l’abstème rasera, à l’entrée de la tente d’assignation, sa tête consacrée ; et il prendra cette chevelure consacrée, et la jettera sur le feu qui est sous la victime de rémunération. Et le pontife prendra l’épaule du bélier, quand elle sera cuite, puis un gâteau azyme dans la corbeille et une galette azyme ; il les posera sur les mains de l’abstème, après qu’il se sera dépouillé de ses cheveux consacrés, et le pontife en opérera le balancement devant le Seigneur : c’est une chose sainte qui appartient au pontife, indépendamment de la poitrine balancée et de la cuisse prélevée. Alors l’abstème pourra boire du vin. Telle est la règle de l’abstème qui aura fait un vœu ; telle sera son offrande à l’Éternel au sujet de son abstinence, sans préjudice de ce que permettront ses moyens : selon le vœu qu’il aura prononcé, ainsi fera-t-il, en sus de la règle relative à son abstinence.
Comme on le constate, il n’est rien qui, dans ce texte, préconise la chasteté, mais, il semble que dans les écoles les plus rigoristes, les écoulements sexuels y compris lors de rapports normaux avec sa propre épouse étaient considérés comme provoquant une impureté rituelle: la chasteté était donc de rigueur. Enfin, on ne peut exclure que le vin pourrait avoir eu des connotations sexuelles que nous ne sommes plus en mesure de comprendre aujourd’hui, ce qui impliquerait l’abstinence de vin et rapports sexuels. L’abstinence de vin dans le Coran pourrait provenir d’une mauvaise compréhension de ce passage; le rédacteur du Coran ayant cru que l’abstinence voulue par Dieu se limitait au vin.
La vie de Jésus peut faire penser à une nazîr: en effet, on peut se souvenir de sa défense de la chasteté (se faire eunuque pour le royaume des cieux), de sa vie de célibataire (même si aujourd’hui des thèses veulent en faire l’époux de Marie-Madeleine, et même lui assurer ainsi une postérité...)
Le mot hébreu nazîr n’est pas hellénisé dans la LXX, puisque le verset de Nombres 6, 2 est traduit comme suit:
Parle aux fils d’Israël et tu leur diras: Quiconque, homme ou femme, fait le grand vœu (εὔξηται) de réaliser la purification (ἀφαγνίσασθαι) de pureté (ἁγνείαν) pour le seigneur, etc.
À comparer avec l’hébreu littéral:
Et tu diras à eux, un homme ou une femme quand il se distingue (yafli’) pour se vouer (lindor) [en faisant] un vœu (nèdèr) d’abstinence (nazîr) en se mettant à part (lehatsir) pour le Seigneur.
Le mot nazîr est traduit ou rendu par plusieurs mots grecs différents tout le long de Nombre 6, 1–21, mais cela ne nous intéresse pas ici.
Le mot hébreu nazîr a néanmoins été grécisé dans le Ier Livre des Macchabées:
ils apportèrent les ornements sacerdotaux, les prémices et les dîmes; et ils firent venir les naziréens (grec ναζιραῖος, donc naziraios) qui avaient accompli leurs jours. [3, 49.]
Dans la mesure où le mot naziraios existait, si Jésus avait été un nazîr, il aurait été si simple de l’appeler naziréen, d’autant plus que la traduction grecque du I Macchabées, remonte à –100.
On invoque souvent en faveur d’une hypothèse d’un Jésus naziréen, le verset qu’on lit dans Matthieu: 
Et [il] vint demeurer dans une ville appelée Nazareth, afin que s’accomplît ce qui avait été annoncé par les prophètes : Il sera appelé Nazôraios. [Mt. 2, 23.]
Comme Nazareth n’est pas mentionnée dans la Bible; on a supposé qu’il s’agissait d’un passage du Tanakh que Matthieu aurait déformé pour relier l’installation de Jésus à Nazareth à une prophétie quelconque. Néanmoins, ce passage n’a jamais été identifié! De nombreux spécialistes ont néanmoins soutenu que cette citation serait une allusion ou une citation déformée de Juge 13, 5–7, qui dit:
Car tu vas concevoir et enfanter un fils; le rasoir ne doit pas toucher sa tête, car cet enfant doit être un Naziréen consacré à Dieu dès le sein maternel, et c’est lui qui entreprendra de sauver Israël de la main des Philistins. ... Il m’a dit: «Tu vas concevoir et enfanter un fils ; et maintenant ne bois ni vin ni liqueur forte, ne mange rien d’impur, car cet enfant sera un Naziréen consacré à Dieu depuis le sein de sa mère jusqu’au jour de sa mort.»
L’enfant en question est Samson.
D’autres spécialistes se demandent si ce ne serait pas plutôt une citation déformée d’Isaïe 11, 1:
Or, un rameau sortira de la souche de Jessé, un rejeton (nètsèr) poussera de ses racines.
Mais, a priori, ce dernier sens est étrange, il aurait été si simple de citer ce passage, d’autant plus que les évangiles affirment que Jésus est un «Fils de David». De plus Jésus le rejeton, ce n’est pas terrible comme surnom et preque péjoratif. 
L’idée que nazaréen (nazôraios, nazarenos) proviendrait de nezer «couronne», n’a jamais été soutenue par personne. Néanmoins, dans les Actes, nous lisons la mention d’Étienne qui est le premier martyr; son nom grec était stephanos, qui signifie «couronne», ce qui ne permet pas de reconstituer son nom hébreu qui demeure inconnu. On peut donc imaginer que ce personnage était un «nazaréen», et qu’ils interprétèrent, bien à tort, ce titre au sens de «couronné», dont ils firent Stephanos. La tradition juive mentionne que cinq disciples de Jésus furent exécutés : 
  • Mattay (Matthieu ou Joseph ben Mathathias ?);
  • Todah (il doit s’agir d’un faux prophète qui tenta une insurrection et fut exécuté par Antonius Felix vers 52);
  • Naqy (il doit s’agir de Naqdimon, donc de Nicodème, mentionné dans l’Évangile de Jean); 
  • Bonî (il s’agit de Bannous, le maître de Flavius Josèphe et le principal de disciple de Jean le Baptiste, exécuté en 62);
  • Netzer, lui a résisté à toutes les identifications; nous avions même supposé un temps que Netzer aurait été une faute pour Metzer (Égypte, donc allusion à l’«Égyptien» qui commanda la révolution de 55.) Le plus simple serait de voir en Netzer, une déformation de notzerîm; les rédacteurs des Actes n’auront pas compris ou pas voulu comprendre l’allusion, ils ont alors cherché un mot phonétiquement proche, et n’auront trouvé que nèzer, «couronne», donc ils firent Stephanos.

Nazaréen ne désigne pas un habitant de Nazareth, ni non plus un nazîr, ni un couronné ou nezer, ni non plus un rejeton ou netzer. Reste comme solution que nazaréen provienne de l’hébreu natzar («celui qui garde» au sens militaire, donc une sentinelle, voire un protecteur, comme celui qui garde les commandements au sens religieux, donc un observant rigoriste) et de l’hébreu Notzerim qui est utilisé dans le Bible au sens de sentinelles dans Jérémie 31, 5:
Oui, il viendra un jour où les sentinelles (נצרים, notzèrîm) s’écrieront sur la montagne d’Éphraïm: «Debout ! Montons à Sion vers l’Éternel, notre Dieu!» 
Même si ce ne sont pas les seuls sens possibles, ce sont certainement les sens principaux.
On lit dans le I Macchabées, les passages suivants:
Judas Machabée a été fort et vaillant dès sa jeunesse; qu’il soit le chef de votre armée, et qu’il conduise le peuple au combat. Vous joindrez à vous tous les observateurs (vraisemblablement notzerîm en hébreu) de la loi, et vengez votre peuple de ses ennemis. Rendez aux nations ce qu’elles méritent, et soyez attentifs aux préceptes de la loi. [2, 66–68.]
Joseph, au temps de son angoisse, a gardé le commandement, et il est devenu le seigneur de l’Égypte. [2, 53.]
Dans ce texte, les mots «garder» et «garde» qui correspondent aussi à natzar–notzerîm sont utilisés dans un sens militaire, comme ici:
Après donc que le soleil fut couché, Jonathas ordonna aux siens de veiller, et de se tenir toute la nuit sous les armes, prêts à combattre; et il mit des gardes autour du camp. [12, 27.]
On constate d’ailleurs que ces «observants de la loi» sont fortement militarisés: la révolte macchabéenne est d’ailleurs une guerre sainte des Juifs contre les Séleucides, mais aussi du judaïsme contre le paganisme.
Nazôraios et nazarenos désignent donc des Juifs et des judaïsants rigoristes et militaristes, on comprend alors que les rédacteurs des évangiles firent tout pour masquer cette qualité de Jésus, en lui attribuant une résidence dans la ville de Nazareth, parce que tout simplement ces nazaréens sont certainement ceux qui, pendant l’occupation romaine, furent connus sous les noms de «sicaires» et de «zélotes», des révolutionnaires qui luttèrent contre les Romains. Et Jésus dans les Actes est justement qualifié de chef de la secte des nazaréens, Jésus aurait-il été un important chef révolutionnaire, en lutte directe ou indirecte contre l’occupant romain, et qu’il fallait le cacher parce que l’évangile s’adressait aux Romains? Avec l’invention de Nazareth, ils pouvaient dire: «Non, nous ne sommes pas des révolutionnaires anti-romains, nous nous appelons nazaréens parce que notre maître est de Nazareth.»
Christianisme et essénisme gardent une part d’ombre, les affirmations de Philon d’Alexandrie et de Flavius Josèphe que les Esséniens étaient des pacifistes ne correspondent pas à leurs manuscrits retrouvés à Qumran. Rappelons aussi que leurs pratiques étaient basées sur les Cantiques des Sabbat, dont des fragments ont été retrouvés à Qumran ... et à Massada, donc dans la forteresse où s’étaient réfugiés les derniers sicaires et où ils se suicidèrent en 74, juste avant l’entrée des légions romaines.
Pour revenir à Jésus de Nazareth, Iesou o Nazôraios ou Iesou o Nazarenos signifient Jésus le Natzar, c’est-à-dire Jésus le «Strict-observant» ou Jésus le «Gardien». Nazaréen étant un des noms des esséniens, on peut en déduire que Jésus était essénien, et si on veut en croire les Actes qui disent que Jésus était:
le chef de la secte des Nazaréens
Il a alors été un important chef, voire le chef, des esséniens aux jours où il vivait, et ses disciples sont donc des esséniens, un groupe qui existait bien avant lui et dont il reprendra les rênes.
Concernant les groupes nazaréens, il faut aussi se souvenir que ces groupe seront réactivés après la seconde guerre judéo-romaine par El_Qasay, et que ces elqasaïtes nazaréens ont été influencés par le baptisme et l’essénisme qu’ils pratiquaient; ils aidèrent les Juifs dans leur révolte contre Rome pendant la guerre des Communautés (115–118) et moururent à leurs côtés. De petits groupes survécurent en Syrie, mais il évoluèrent vers le manichéisme, et d’autres à Petra, qui’ils quittèrent à la fin du Ve siècle pour s’établir en Arabie: c’est d’eux et bien malgré eux que sortit l’islam
Les Nazaréens ne disparurent pas à la fin des guerre contre les Séleucides. Ils restèrent actifs et cultivaient une mystique sacerdotale et militariste.




Stephan HOEBEECK

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