dimanche 14 février 2016

L'Évangile de Thomas, la source Q et les synoptiques: Essai de reconstitution de la Parabole du Semeur (Partie I)

La version copte de l'Évangile de Thomas a été retrouvée à Nag Hammadi en 1945; ce texte était déjà partiellement connu par le papyrus grec Oxyrhynchus 654, trouvé à la fin du XIXe siècle.
L'Évangile de Thomas a fasciné les gens pour plusieurs raisons: d'abord, il a révélé que des gens s'intéressaient à Jésus en tant que sage, et non en tant que sauveur mort et ressuscité; ensuite sa découverte confortait la source Q. 
La Source Q (Q, l'initiale de l'allemand Quelle signifiant «source») est une des plus brillante théorie pour résoudre le problème synoptique. En fait, on constate que les évangiles de Matthieu et de Luc diffèrent principalement de l'Évangile de Marc, par l'ajout de paroles de Jésus, regroupées principalement mais pas exclusivement, dans le Sermon sur la Montagne, le Discours aux Disciples, et des Paraboles ajoutées ici et là, etc. En effet, la plupart des miracles présents en Luc et en Matthieu se trouvent aussi en Marc [Excepté la guérison du serviteur du centurion; ce passage est peut être absent volontairement de Marc, en ce sens qu'il décrit un Romain converti au judaïsme, or le christianisme s'affiche comme une religion concurrente du judaïsme; Marc a dû estimer plus intelligent de ne pas mentionner cette histoire. Notons que Jean conserve le texte, mais le remanie, le centurion devient un «officier du roi» afin d'effacer l'allusion aux prosélytes ou convertis au judaïsme; notons que la falsification de Jean n'est pas très intelligente, en effet, il prétend qu'il s'agissait d'un officier du roi, mais de quel roi: Hérode est mort en –4, et Agrippa ne deviendra roi de Judée qu'en 37, donc bien après la mort de Jésus; la Galilée était à ce moment-là sous la domination d'Hérode Antipas qui n'a jamais porté le titre de roi, mais seulement celui de tétrarque.] Les évangiles de Luc et de Matthieu diffèrent encore de l'Évangile de Marc, en ce qu'ils traitent de l'enfance de Jésus: néanmoins, et quoi que ce ne soit pas notre propos, les parties des évangiles de Luc et de Matthieu relatives à l'enfance de Jésus semblent provenir, malgré leurs divergences, du Proto-évangile de Jacques qui date des années 138–140. En effet, la version des quatre évangiles sur laquelle Marcion mit la main en 138 différait de nos évangiles. Il semble que l'Évangile de Matthieu en usage à ce moment-là commençait avec la Baptême de Jean et ne mentionnait ni généalogie de Jésus, ni mages, ni massacres des innocents, ni fuite en Égypte; quant à l'Évangile de Luc, il semblait commencer avec la préface (1, 1–4),  les passages sur Jean Baptiste (1, 5–25 ; 1, 57–80, mais avec un Benedictus probablement moins développé que dans la version actuelle et passait directement au Baptême de Jean en Luc 3, 1. L’annonce à Marie, la visitation à Élisabeth, la naissance de Jésus, la circoncision au Temple, les prophéties de Shiméon et d’Anne, le départ pour Nazareth dépendent aussi du Proto-évangile de Jacques, quant à Jésus interrogé au Temple c'est une reprise de l'Autobiographie de Flavius Josèphe qui raconte qu'il fut interrogé sur sa connaissance des lois vers 13 ans. Bref tout le chapitre II de Luc n’avaient pas encore été composé; pareillement la généalogie de Jésus n’en faisait pas partie (3, 23–38). En fait, ce premier Évangile de Luc ne donnait aucune indication sur les origines de Jésus, mais seulement sur les origines de Jean Baptiste; c’est pour cela que Marcion supposa que Jésus était sans naissance et était apparu spontanément vers 30. Il le supposa d’autant plus que les origines de Jean le Baptiste étaient clairement indiquées.

La nature de la Source Q est toujours débattue même s'il est certain que l'Évangile de Thomas n'est pas la Source Q, comme quelques uns l'ont pensé.

Concernant l'Évangile de Thomas, si le texte est fascinant, il y a peu de chance que les paroles qui n'ont pas de parallèles avec les évangiles synoptiques auraient été prononcées par Jésus (il convient d'excepter le Logion 1 et l'un ou l'autre); quant aux paroles de Jésus qui sont parallèles aux synoptiques, elles contiennent quelquefois des leçons intéressantes, comme nous le verrons, mais aussi de nombreuses réécritures gnostiques postérieures à 120, voire à 150. C'est évidemment le problème de son utilisation comme source historique pour retrouver les paroles originales de Jésus: les réécritures gnostiques compliquent singulièrement l'entreprise. Loin de nous de vouloir condamner la gnose; nous disons simplement que de nombreuses paroles de cet évangile peuvent difficilement avoir été prononcée en Judée en 30, alors que leur structure correspond nettement plus à la pensée gnostique en usage à Alexandrie dans les années 100–200.

Pourtant la structure de l'Évangile de Thomas et la conception de la Source Q aurait dû susciter un autre débat qui n'a jamais eu lieu: JÉSUS A-T-IL ÉTÉ UN ÉCRIVAIN? 
Cette question est effacée à cause de la théologisation de Jésus (Jésus devenu Dieu) et à cause des miracles, et surtout de l'attrait qu'ont les chrétiens pour quelques passages: tout le monde connaît la narration de la Femme adultère (qui est une composition due à Marcion ou à l'un de ses disciples), mais personne ou très peu la Parabole du Semeur (qui est certainement authentique, même avec des réécritures). 
Cette question d'un Jésus écrivain est cruciale; en effet, de nombreuses paroles qui lui sont attribuées dans les évangiles sont des apophtegmes, or personne ne parle en énonçant des sentences. Par contre, les recueils de sentences et autres apophtegmes est un genre très prisé dans l'Antiquité (Voir les Proverbes et le Siracide en monde juif, le pseudo Phocylide dans le judaïsme alexandrin, et en monde païen: les Sentences de Sextus le Pythagoricien, et encore celles des Sept Sages.) Et on peut se demander, si la première façon dont se fit connaître Jésus Fils de Joseph n'est pas en composant une Sagesse (Hokmah Yehôshu°a ben Yôsef) dont les paroles auraient été ne serait-ce que partiellement, conservées dans les évangiles synoptiques et dans celui de Thomas. Un tel texte aurait pu être lu publiquement en Judée et permettrait de comprendre comment Jésus passa à travers les siècles. En effet, l'idée que ses paroles auraient été notées par quelques disciples et pourquoi pas, sur des os de chameaux comme le Coran, et qui ensuite en auraient fait un recueil reste peu vraisemblable. La structure de ses paroles et de ses paraboles dans les évangiles respirent la composition littéraire. Hélas, l'idée d'un Jésus écrivain aura été effacée par les évangélistes; en effet, Jésus n'est-il pas le fils de Joseph, et sans instruction comme l'affirment les évangiles, Mahomet était aussi supposé avoir été un illettré... Présenter Jésus comme dépositaire d'un savoir venant directement de Dieu était une manière de le déifier, alors que s'il fut un écrivain, il devenait vraisemblable qu'il était érudit, que c'était un sage, qu'il était instruit et probablement issu des classes supérieures, et plus le fils d'un pauvre charpentier de Nazareth comme les évangiles tentent de le faire croire.

FIN DE LA PARTIE I

— Stephan HOEBEECK

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