vendredi 19 février 2016

Le roi Alexandre Jannée et les parties autobiographiques des Hôdayôth

Alexandre Jannée et les manuscrits de la Mer Morte

Alexandre Jannée naquit vers –125, il est l’un des fils de Jean Hyrcan (1); à la mort de son frère Aristobule Ier (2) qui l’avait fait emprisonner, sa veuve Salomé Alexandra (3) le fera libérer. Aristobule Ier n’ayant pas eu d’enfants, il l’épouse, probablement pour se conformer aux lois du lévirat, ce qui expliquerait que l’un de ses fils s’appellera Aristobule (4). La vie d’Alexandre Jannée en tant que roi et que grand-prêtre est une longue suite de batailles, il mourra d’ailleurs vers –76 lors d’une expédition, puisque Flavius Josèphe dit:
Pendant trois années, bien que souffrant de la fièvre quarte, il ne renonça pas à ses expéditions, jusqu’au jour où, épuisé par les fatigues, il mourut, dans le territoire de Gérasa, en assiégeant la place forte de Ragaba, au-delà du Jourdain. [Antiquités, livre XIII, chapitre XV, §5.]
En politique intérieure il eut à affronter une révolte de grande ampleur menée par les pharisiens qui contestaient sa grande-prêtrise et vraisemblablement son autorité; ceux-ci s’allièrent même à Démétrios III (5), roi de Damas, afin de le renverser. Ils furent battus et Alexandre Jannée ordonna la crucifixion de 800 d’entre eux ; ceux qui survécurent, prirent la fuite et se réfugièrent à Damas, ils y restèrent cachés tout le temps de son règne. Tous ces événements sont détaillés par Flavius Josèphe, au livre XIII de ses Antiquités Juives.
La crucifixion des 800 pharisiens est connue par le Pesher Nahum et était pleinement approuvée par l’auteur de ce texte: les pharisiens sont pour lui les «chercheurs des choses flatteuses» et méritent leur sort (6). Cette absence de condamnation dans un manuscrit de Qumran a surpris et les explications pour situer ces événements à une autre époque ont été rejetées (7).
Le fragment 4q448 n’avait d’abord pas attiré l’attention des chercheurs, mais lorsque Ada Yardeni remarqua qu’il s’agissait d’une prière en faveur du roi Jonathan, c’est-à-dire Alexandre Jannée, ce fragment devint très rapidement source de controverse. On se demandait ce qu’une telle prière venait faire dans les manuscrits de la Mer Morte. Cette prière dit ceci:
Lève-toi, ô Saint, en faveur du roi Jonathan [Alexandre Jannée] et de l’ensemble de ton peuple, Israël, qui est (dispersé) par les quatre vents du ciel. Puissent-ils avoir tous la paix et celle-ci être sur votre royaume et que votre nom soit béni. [4Q448, colonne B, lignes 1–9.]
L’auteur de cette prière est un fervent admirateur d’Alexandre Jannée. 

Les Hôdayôth

Les Hôdayôth furent découverts parmi les manuscrits de la grotte 1 à Qumran; il s’agit d’hymnes qui semblent avoir plusieurs auteurs. Le premier exemplaire découvert est 1QHôdayôth, les autres exemplaires sont numérotés 1Q35, 4Q427, 4Q428, 4Q429, 4Q430, 4Q431, 4Q432 et 4Q440. Il ne s’agit pas d’exemplaires complets: le mieux conservé est 1QHôdayôth et il manque une partie non négligeable du texte, sans qu’elle ne puisse être exactement quantifiée; les autres exemplaires sont fragmentaires, voire très fragmentaires; néanmoins, certains peuvent aider à reconstituer d’éventuels passages endommagés du premier qui reste notre source principale. 
La division du texte en hymnes particuliers est l’objet de débats: ils ne comportent pas de titres ni de divisions effectives. On trouvera des hymnes laudatifs, d’autres eschatologiques, pénitentiels ou autobiographiques. Ce sont ces derniers qui ont permis de dresser le premier portrait-robot du Maître de Justice, puisqu’on a supposé que les parties autobiographiques avaient forcément été composées par ce dernier:
Au sein de son groupe, des traîtres se sont révoltés contre lui, son père même l’a rejeté, il a fait de la prison. 
Différents textes retrouvés à Qumran suggèrent qu’il a été exécuté. Fatalement, avec une fin aussi terrible, on s’est dit, un peu rapidement, que son exécution n’avait été que l’aboutissement de ses longues tribulations décrites dans les Hôdayôth

Comparaison des parties autobiographiques des Hôdayôth avec les narrations de Flavius Josèphe relatives à la vie d’Alexandre Jannée

Nous ne pensons pas que les parties autobiographiques des Hôdayôth doivent être attribuées au Maître de Justice comme on l’a pensé; mais qu’elles sont des compositions personnelles du roi Alexandre Jannée. Les narrations  présentent d’innombrables similitudes avec la vie de ce roi telle qu’elle fut racontée par Flavius Josèphe dans sa Guerre des Juifs ou dans ses Antiquités Juives. Nous allons donc citer des passages de l’œuvre de Flavius Josèphe et les comparer à ceux des Hôdayôth. Comme on pourra le constater, les convergences sont réellement frappantes et ne peuvent être dues au hasard.
Nous apprenons par Flavius Josèphe, les choses suivantes sur ce roi:
Jannée, dès sa naissance, était devenu un objet de haine pour son père, lequel jusqu’à sa mort refusa de le voir. La cause de cette haine était, dit-on la suivante: Hyrcan qui, de ses enfants, aimait surtout les deux aînés, Antigone et Aristobule, demanda à Dieu qui lui était apparu en songe lequel de ses enfants serait son successeur. Dieu lui ayant tracé les lettres du nom de Jannée, Hyrcan, affligé à l’idée qu’il serait l’héritier de tous ses biens, le fit élever en Galilée. Dieu ne l’avait cependant pas trompé. Jannée ayant pris le pouvoir après la mort d’Aristobule, fit périr l’un de ses frères qui aspirait à la royauté, et traita avec honneur l’autre, qui préférait vivre sans se mêler aux affaires [Antiquités, livre XIII, chapitre XII, §1.]
Et dans les Hodayôth, nous lisons :
Car mon père ne m’a pas connu, ma mère m’a abandonné à toi. [Colonne XVII (IX) lignes 35]
Et ailleurs, nous lisons :
Je te loue, Seigneur que tu ne m’as pas abandonné dans mon séjour parmi un peuple étranger... [Rappelons que la Galilée avait à peine été conquise par Hyrcan et n’en était qu’au début de sa judaïsation. Colonne XIII (V), lignes 5]
Et ailleurs, nous lisons encore :
Car ils me chassent de mon pays comme l’oiseau de son nid. Tous mes compagnons et mes connaissances ont été éloignés de moi. Ils m’ont considéré comme un vase de rebut... [Notons que d’autres significations de ce passage sont possibles, voir ci-dessous. Colonne XII (IV), lignes 8–9.]
L’homme qui composa ces parties des psaumes a été rejeté de son père et éloigné de sa terre natale comme le fut Alexandre Jannée.
Nous apprenons par Flavius Josèphe, les choses suivantes sur ce roi:
Après la mort de leur père [Jean Hyrcan], l’aîné, Aristobule jugea à propos de transformer de sa propre autorité le pouvoir en royauté, et le premier ceignit le diadème quatre cent quatre-vingt-un ans et trois mois après le retour du peuple, délivré de la captivité de Babylone. De ses frères, il n’aimait que son puîné Antigone, qu’il jugea digne de partager ses honneurs ; quant aux autres [Il y en avait trois d’après Flavius Josèphe, dont Alexandre Jannée], il les jeta dans les fers. Il mit aussi en prison sa mère [il est possible, même si Flavius Josèphe ne le précise pas qu’Hyrcan ait eu deux, voire trois femmes, la femme emprisonnée serait alors la mère de Jannée, les deux aînés étant les fruits d’un premier lit], qui lui disputait le pouvoir, car Hyrcan l’avait laissée maîtresse de tout ; et il poussa la cruauté jusqu’à la laisser mourir de faim dans des chaînes. [Antiquités, livre XIII, chapitre XI, §1.]
Et dans les Hodayôth, nous lisons :
Car j’ai été lié avec des cordes sans qu’il y ait possibilité de s’arracher ; avec des entraves, sans qu’elles puissent être brisées. Le mur [d’une ville fortifiée]... des barres de fer et les portes [d’airain], Ma prison est comptée avec l’abîme sans qu’il y ait... Des torrents de méchanceté entourent mon âme pour... [Colonne XIII (V), lignes 36–39]
Et dans la même colonne, nous lisons encore :
Tu as sauvé la vie du malheureux dans le séjour des lions qui aiguisent leur langue comme un glaive. Et Toi, mon Dieu, Tu m’as délivré de leurs dents de peur qu’ils ne déchirent l’âme du malheureux et du pauvre. Leur langue a été rentrée comme le glaive dans le fourreau, sans que l’âme de Ton serviteur ait été abandonnée [En langage clair, il n’a survécu que de justesse.] [Colonne XIII (V), lignes 13–15.]
L’homme qui raconte cela a été en prison comme Alexandre Jannée.
Alexandre Jannée souffrit plusieurs révoltes, qu’il réprima certes sévèrement, ainsi que Flavius Josèphe le rapporte :
Cependant Alexandre vit ses compatriotes se révolter contre lui ; le peuple se souleva pendant la fête (des Tabernacles); comme le roi était devant l’autel, sur le point de sacrifier, il fut assailli de citrons: c’est, en effet, la coutume chez les Juifs que le jour de la fête des Tabernacles chacun porte un thyrse composé de rameaux de palmiers et de citrons; c’est ce que nous avons déjà exposé ailleurs. Ils l’injurièrent, lui reprochant d’être issu de captifs, et indigne de l’honneur d’offrir les sacrifices. [Antiquités, livre XIII, chapitre XIII, §5.] 
Et dans les Hodayôth, nous lisons :
Et tous ceux qui mangent mon pain ont levé le talon contre moi, ils se sont moqués de moi avec des lèvres d’iniquité, tous les membres de ma communauté [les Juifs] et les hommes de mon alliance se sont révoltés et ont murmuré. [Colonne XIII (V), lignes 23–25.]
Ailleurs dans les Hôdayôth, nous lisons encore :
[...] les forts pour amollir mon cœur et ma vigoureuse endurance en face des coups. Mais tu donnes la réponse de la langue pour mes lèvres incirconcises et tu mes soutiens en me fortifiant les reins et en me donnant une vigoureuse endurance. Tu affermis mes pas dans le domaine de la méchanceté. Et je suis un piège pour les transgresseurs [ceux qui se révoltent], mais un remède pour tous ceux qui se convertissent du péché [ceux qui se soumettent], prudence pour les simples et appui ferme pour ceux dont le cœur est anxieux. Tu m’as placé comme un objet de mépris et de dérision pour les traîtres et un fondement de vérité et de connaissance pour tous ceux qui marchent droit. Je suis devenu cause de l’iniquité des méchants, une source de calomnies sur les lèvres des violents. Les moqueurs grincent des dents. Je suis devenu un objet de chansons pour tous les transgresseurs. Contre moi, l’assemblée des méchants s’agite. Et ils grondent comme les flots des mers quand leurs vagues sont agitées. Tu m’as placé comme un étendard pour les élus de la Justice et un interprète de la science dans les secrets merveilleux, pour éprouver les hommes de vérité et pour mettre à l’épreuve ceux qui aiment l’instruction. Mais je suis un homme de querelle pour les interprètes d’erreurs, un homme de paix pour tous les voyants de vérité. Je suis un esprit de jalousie pour tous ceux qui recherchent les séductions. Et tous les hommes de tromperies ont grondé contre moi comme le bruit du mugissement des grandes eaux. De desseins mauvais sont toutes leurs pensées. Ils ont complètement changé la doctrine de l’homme [la loi de Moïse dans son sens sadducéen ?] que tu as établie dans ma bouche et que tu m’as enseignée, l’intelligence que tu as placée dans mon cœur pour ouvrir la source à tous les intelligents. Et ils ont échangé pour des lèvres incirconcises et une langue étrangère [allusion probable à leur trahison en faveur de Démétrius III] destinée à un peuple sans intelligence pour qu’ils se perdent dans leurs erreurs. [Colonne X (II), lignes 6–19.]
Ailleurs dans les Hôdayôth, nous lisons encore :
Je te loue, Seigneur, car tu as éclairé ma face pour ton alliance et je t’ai recherché et comme une véritable aurore, à l’aube, tu t’es manifesté à moi. Et eux, ton peuple, les débiteurs de mensonge, par leurs paroles les ont trompés. [Les pharisiens ont raconté des calomnies sur Jannée]. Les interprètes de tromperie les ont égarés et ils courent à leur perte [la répression de Jannée fut terrible, il en fit exécuter des milliers], sans intelligence Car [...] dans la folie de leurs œuvres. Car ils sont devenus méprisables pour eux-mêmes. Ils ne m’estiment pas quand tu te montres puissant en moi. [Dieu a fait d’Alexandre Jannée le souverain légitime de la Judée.] Car ils me chassent de mon pays comme l’oiseau de son nid. [Ils l’empêchent de remplir son office de grand-prêtre.] Tous mes compagnons et mes connaissances ont été éloignés de moi. Ils m’ont considéré comme un vase de rebut [les pharisiens ont dit qu’il est le descendant de captives]. Et eux, interprètes de mensonges et voyants de tromperie, ont formé contre moi des pensées méchantes, en changeant ta Loi [celle des sadducéens] que tu as gravée dans mon cœur, contre des paroles de séduction [la tradition orale des pharisiens] pour ton peuple. Ils ont retenu la boisson de la science aux assoiffés, et dans leur soif leur ont fait boire du vinaigre afin de contempler leur égarement pour qu’ils agissent en insensés dans leurs fêtes [les pharisiens ont poussé le peuple pendant une fête de bénédiction pour ce même peuple], afin d’être pris dans leurs filets. [Colonne XII (IV), lignes 5–12.]
Et aussi ceci:
Et moi je suis devenu comme sillonné de fleuves dévastateurs, car ils ont jeté sur moi leur boue. [Colonne XVI (VIII), lignes 14–15.]
Et dans les Hôdayôth, nous lisons:
Tu as établi sur le rocher ma maison et des bases éternelles pour ma communauté. Tous mes murs sont devenus une muraille éprouvée qui ne sera pas ébranlée. Mais Toi, mon Dieu, tu l’as placée pour être un conseil de sainteté pour ceux qui sont abattus et m’as fortifié dans ton Alliance. Ma langue est comme celle de Tes disciples : pas de bouche pour l’esprit de destruction, pas de réponse de la langue pour tous les fils d’iniquité. Car elles sont muettes les lèvres du mensonge. Car tous mes agresseurs tu les condamneras pour le jugement en distinguant par moi entre le juste et le méchant. [Les impies seront condamnés dans ce monde et dans l’autre, après avoir été punis dans celui-ci, cela continuera dans l’autre monde.] [Colonne XV (VII), lignes 8–12.]
Le début du passage contient une réminiscence des protections qu’Alexandre Jannée dut prendre suite à la contestation qu’il subit et après avoir massacré de nombreux insurgés:
il entoura l’autel et le sanctuaire jusqu’au chaperon d’une barrière de bois que les prêtres seuls avaient le droit de franchir, et il empêcha ainsi l’accès du peuple jusqu’à lui. [Antiquités, livre XIII, chapitre XIII, §5.]
Dans le passage suivant, l’auteur justifie l’extermination des impies comme un signe de Dieu, ce qui peut se comprendre comme une justification de son action:
Mais tu as créé les impies pour le moment de ta colère et, dès le sein, tu les as mis à part pour le jour du massacre. Car ils ont marché dans la voie qui n’est pas bonne et ils ont méprisé ton Alliance et leur âme a eu en abomination tes décrets. Et ils ne se sont pas complu en tout ce que tu as ordonné, et ils ont choisi ce que tu as haï. Tous ceux qui méprisent ta Loi, tu les as établis pour exécuter contre eux des jugements grandioses aux yeux de toutes tes créatures et pour qu’ils soient un signe et un prodige pour les temps éternels, pour que tous connaissent ta gloire et ta grande puissance. [Colonne VII (XV), lignes 17–21.]
Flavius Josèphe dit:
Il pria alors ses compatriotes de mettre un terme à leur malveillance à son égard; mais leur haine, au contraire, n’avait fait que croître à la suite de tout ce qui s’était passé; comme il leur demandait ce qu’ils voulaient, ils répondirent d’une seule voix: «Ta mort» et envoyèrent des députés à Démétrius l’Intempestif pour solliciter son alliance. [Antiquités, livre XIII, chapitre XIII, §5.]
Et dans les Hodayôth, nous lisons:
Je te loue, Seigneur, car tu m’as placé dans l’écrin de vie ; tu m’as protégé de tous les pièges de la fosse, car des violents ont recherché ma vie lorsque je m’appuyais sur ton alliance. Mais, eux sont une assemblée de vanité, une congrégation méchante. Ils ne savent pas que de Toi, je tiens ma position [que je suis roi de Judée & grand-prêtre du Temple], et que, dans Ton amour, Tu veux sauver ma vie. Car c’est de Ta part qu’ils se sont attaqués à ma vie, pour que Tu montres Ta gloire par le jugement des impies, et que Tu exerces Ta puissance en moi devant les fils d’homme [la crucifixion des pharisiens]. C’est par Ton amour que je me maintiens. [Colonne X (II), lignes 20–25.]
Flavius Josèphe raconte encore qu’il est arrivé à Alexandre Jannée, les choses suivantes:
Mais ayant engagé le combat contre Obédas, roi des Arabes, il tomba dans une embuscade, en un lieu escarpé et d’accès difficile ; précipité par un encombrement de chameaux dans un ravin profond, près de Garada, bourg de la Gaulanitide, il s’en tira à grand’peine, et s’enfuit de là à Jérusalem. [Antiquités, livre XIII, chapitre XIII, §5.]
Et dans les Hodayôth, nous lisons:
Ils m’ont atteint dans d’étroits défilés, sans qu’il y ait de refuge. Et il n’y avait pas, quand ils me poursuivaient, de lieux de repos. [Colonne XIII (V), ligne 29.]
Flavius Josèphe décrit la fin de la vie du roi Alexandre Jannée de la manière suivante:
Enfin il revint en Judée, après une campagne de trois ans. Le peuple l’accueillit avec joie à cause de ses victoires; mais la fin de ses guerres fut le commencement de sa maladie. Tourmenté par la fièvre quarte, on crut qu’il vaincrait le mal en reprenant le soin des affaires. C’est ainsi que, se livrant à d’inopportunes chevauchées, contraignant son corps à des efforts qui dépassaient ses forces, il hâta son dernier jour. Il mourut dans l’agitation et le tumulte des camps, après un règne de vingt-sept ans. [Guerre, livre I, chapitre IV, §8.]
Dans le passage parallèle que proposent les Antiquités, nous lisons:
Après tous ses succès, le roi Alexandre tomba malade des suites d’une ivresse. Pendant trois années, bien que souffrant de la fièvre quarte, il ne renonça pas à ses expéditions, jusqu’au jour où, épuisé par les fatigues, il mourut, dans le territoire de Gérasa, en assiégeant la place forte de Ragaba, au-delà du Jourdain. [Antiquités, livre XIII, chapitre XV, §5.]
Et dans les Hôdayôth, nous lisons:
Mon séjour est avec les malades et mon cœur est frappé par la maladie; je suis comme un homme abandonné dans le chagrin, je n’ai plus de force en moi; car mon châtiment a germé en amertume et dans une douleur incurable sans que je garde de force... Le tumulte est sur moi comme ceux qui descendent au shéol, et aux morts, mon esprit se cache, car ma vie a atteint la fosse. Mon âme a défailli nuit et jour sans repos et il germe comme un feu brûlant retenu dans mes os [fièvre quarte?]. Sa flamme dévorait sans cesse afin d’anéantir ma force pour toujours et d’exterminer la chair pour longtemps. Les flots ont volé contre moi. Et mon âme en moi était défaillante jusqu’à la destruction ; car la force de mon corps a disparu et mon cœur a coulé comme de l’eau [Flavius Josèphe dit: C’est ainsi que, se livrant à d’inopportunes chevauchées, contraignant son corps à des efforts qui dépassaient ses forces, il hâta son dernier jour.] Ma chair s’est fondue comme la cire. La force est devenue de l’effroi. Mon bras s’est brisé du coude sans que je puisse agiter la main. Mes pieds sont pris dans le cep et mes genoux ont coulé comme l’eau sans que je puisse avancer d’un pas [il n'a plus de forces.] [Colonne XVI (VIII), l. 26–34]
Notons tout de suite les deux parallèles : Jannée et l’auteur souffrent tous deux de fièvres, et les deux textes parlent clairement d'un affaiblissement généralisé qui mène à la mort. Les parties sur l'ivresse sont probablement une exagération de Flavius Josèphe en vue de diminuer ce roi.

La probabilité que ce soient deux hommes différents qui auraient été rejetés par leurs pères, exilés, emprisonnés, que leurs hommes (ses disciples pour le Maître de Justice et ses sujets pour le roi Alexandre Jannée) se soient révoltés contre eux et qu’ils furent insultés par eux, qu’ensuite, ils les frappèrent pour prix de leur révolte, qu’ils soient tombés dans un précipice, et qu’ils soient morts d’une longue maladie EST IMPOSSIBLE. L’attribution de la rédaction de la partie autobiographique des Hôdayôth par Alexandre Jannée doit donc être considérée comme certaine.

Nous sommes attirés par ces hymnes, parce que leur auteur nous semble correspondre à la vision du juste souffrant, sorte de pré-Jésus-Christ; mais ce n’était pas la réalité, l’un des auteurs est un roi hasmonéen, le plus redouté de sa dynastie et un conquérant infatigable. Il y raconte les souffrances qu’il eut face à la révolte de ses sujets tout autant qu’aux moqueries dont il était l’objet, il y raconte qu’il dut les mettre au pas, les chercheurs n’avaient évidemment pas pensé que cela voulait dire les faire crucifier.

Alexandre Jannée

La présence d’au moins neuf exemplaires des Hôdayôth parmi les manuscrits de la Mer Morte témoigne de la popularité de l’œuvre. Les parties approbatrices de la politique anti-pharisienne d’Alexandre Jannée déjà relevée dans le Pesher Nahum, autant que la prière rédigée en sa faveur (4Q448) va impliquer une réévaluation des rapports de ce roi et des auteurs des manuscrits; mais même tout simplement de sa personnalité réelle. Rappelons que Flavius Josèphe le décrit comme cruel et jaloux, puisqu’il assassine un de ses frères et qu’outre la crucifixion de ses ennemis, il fait égorger leurs femmes et leurs enfants devant eux; il est débauché, puisqu’il s’entoure de concubines; et enfin, c’est un ivrogne qui va mourir de ses excès de boissons. Ce portrait au vitriol est peut-être une simple manière d’amoindrir ce roi qui fit de la Judée un État puissant et redouté, et dont le souvenir devait rester vivace auprès de la population juive qui entra en révolte contre la domination romaine en 66.
La description de Jannée comme un niais par les rabbins serait issue d’un compromis avec les autorités romaines qui ne voulaient plus avoir de révoltes, c’est ainsi que Jannée et Bar Kokheba seront décrits négativement par le Talmud et que les conceptions messianiques s’y feront très discrètes.
Les raisons de la révolte contre Jannée sont mal connues, officiellement il s’agirait de calomnies comme quoi il serait le descendant d’une captive. Nous venons de montrer les liens des manuscrits de la Mer Morte avec ce dernier; or, si on regarde des textes comme le Rouleau du Temple ou 4Q251, il semble clair que ceux-ci, s’ils sont appliqués, ont d’innombrables implications fiscales (fêtes supplémentaires, prélèvements sur le bois, les légumes, le vin et le pain, etc.) À toutes les époques, un alourdissement de la fiscalité peut se traduire par des révoltes. Quand la Judée devint indépendante en –152, elle est limitée à Jérusalem. Pendant, 30 ans les hasmonéens durent se limiter à résister et, à partir de –120, Jean Hyrcan commencera une politique expansionniste couronnée de succès, celle-ci sera poursuivie par ses fils Aristobule et Antigone, et ensuite par Jannée. L’État judéen à la mort de Jannée s’étend sur tout le territoire israélien d’aujourd’hui, y compris la Cisjordanie, mais aussi sur l’Iturée (Damas est visible des frontières judéennes) et 1/4 de la Jordanie est judéenne. Une telle extension territoriale a dû poser d’innombrables soucis financiers: les États quand ils ont besoin d’argent n’ont que les impôts. L’explosion des prélèvements fiscaux aurait alors provoqué du mécontentement à l’époque d’Hyrcan et une révolte ouverte à l’époque de Jannée. Les pharisiens seraient simplement ceux qui veulent une baisse de ces charges et une stabilisation de l’État judéen, plutôt qu’une extension sans fin, d’ailleurs implicite à la Règle de Guerre.

Le Maître de Justice

Les Hôdayôth ne sont pas qu’autobiographiques, de nombreuses parties sont spirituelles, à moins de voir en Alexandre Jannée le Maître de Justice, il faudrait plutôt soupçonner une œuvre de collaboration entre Jannée et ce dernier, ce qui impliquerait qu’ils étaient contemporains et très probablement intimes. De l’œuvre de Flavius Josèphe, un seul nom émerge: Diogène (probablement Asyah עשיה ou Asya’èl עשיאל en hébreu), considéré comme le responsable du massacre des pharisiens et qui sera pour ce motif égorgé par ceux-ci au début du règne de Salomé Alexandra, vers –75. Diogène est présenté dans la version syriaque des Macchabées comme le chef des Sadducéens, ce qui en ferait ipso facto un qohen. Chef des Sadducéens ou Maître de Justice? La similitude entre les deux titres est troublante d’autant plus que les aspects sacerdotaux et sadducéens des manuscrits de la Mer Morte commencent à être mis en lumière.
Néanmoins cette hypothèse semblerait contredire ce que dit l’Écrit de Damas qui affirme que l’apparition du Maître de Justice a eu lieu 390 ans et 20 ans après la déportation de Babylone, au nombre de trois, la dernière a eu lieu en –581 (–581 + 390 = –191 + 20 = –171), ce qui correspond, à quatre ans près, au début de la révolte des Macchabées, ensuite l’Écrit de Damas poursuit, en disant que Dieu 
les visita et fit pousser d’Israël [des Juifs] et d’Aaron [de Mathathias & de ses fils] une racine de plantation [les Assidéens] pour prendre possession de Son pays [pour rendre la Judée indépendante] et pour s’engraisser avec la fertilité de Son sol. [Et donc, de ne plus payer de tribut à des rois étrangers] [CD I 7–8.]
Il faudrait alors admettre que «Maître de Justice» désigne une succession de dirigeants qui appartinrent aux familles hasmonéennes ou à celles qui lui sont apparentées.

Réévaluer les manuscrits de la Mer Morte

L’identification d’Alexandre Jannée en tant qu’auteur d’une partie des Hodayôth va impliquer d’innombrables questions sur les Manuscrits trouvés près de Qumran et à Massada, auxquelles il faudra trouver des réponses qui ne seront pas forcément faciles à accepter.
Une première conséquence, c’est que la piste sadocide des manuscrits de Qumran va devenir impossible à soutenir; en effet, les manuscrits s’enracinent au plus profond de la vision sacerdotalo-militaristes des premiers hasmonéens. 
Flavius Josèphe écrit que quatre écoles fleurissaient en Judée. Il s’agit des écoles pharisiennes, sadducéennes, esséniennes et sicaires. Les manuscrits ne sont absolument pas pharisiens, mais ils ne sont que partiellement sadducéens, que partiellement esséniens et que partiellement sicaires. 
Une piste intéressante se trouve peut-être dans la version syriaque des Macchabées qui dit qu’il existe trois écoles dans le judaïsme : les pharisiens, les sadducéens et les assidéens, c’est-à-dire les hasîdîm (חסידים) ou les «Pieux». Flavius Josèphe et Philon très curieusement n’utilisent jamais le mot Ἀσιδαῖοι, pourtant attesté dans les premier et deuxième livres des Macchabées. L’absence de ce terme pourrait laisser supposer qu’il était trop suspect aux yeux de leurs lecteurs romains. En effet, on sait que les Romains appelaient les révolutionnaires juifs des sicaires, mais comment se présentaient-ils à eux? Peut-être se décrivaient-ils simplement comme les «Pieux». Les manuscrits seraient alors issus des Assidéens qui suivirent Judas Macchabée, cette dernière école plongerait ses racines dans une volonté de faire de la Judée une nation indépendante et forte, ce que l’on savait, et dans des perspectives mystiques liées au Livre d’Hénoch, ce que l’on ne savait pas. 
Les esséniens ne seraient alors qu’une simple fabulation de Flavius Josèphe et de Philon d’Alexandrie qui, afin d’assurer la pérennité des enseignements spirituels des assidéens, auraient décrit cette école comme pacifique envers Rome sous le nom d’esséniens. Il n’y aurait donc jamais eu ni d’esséniens ni de sicaires, mais plus simplement des assidéens qui pratiquent une mystique hénochéenne et qui, régulièrement, tentèrent des révoltes contre Rome (Judas le Galiléen, Menahem, Éléazar de Massada, etc.) et Flavius Josèphe, qui était lui-même issu d’une importante famille officiant au Temple de Jérusalem, aurait soigneusement dissimulé qu’il s’agissait de qohanîm afin de protéger leurs proches.
L’école pharisienne remonte à la grande Synagogue; mais, au sein de cette institution encore très mal connue s’est développée une interprétation scripturaliste de la Bible qui estimait que les Juifs devaient libérer la Judée de toute domination étrangère, ce qui contredisait la tradition orale du compromis avec les autorités d’occupation. L’État séleucide, aux abois après sa défaite contre Rome en –189, faisait face à de graves difficultés de Trésorerie; il tentera ainsi de s’emparer des dépôts gardés par le Temple de Jérusalem et d’helléniser les Juifs. La politique de terreur d’Antiochus Épiphane permettra à l’idéal indépendantiste des Assidéens d’émerger en tant que mouvement de résistance et d’obtenir l’indépendance de la Judée au bout de presque vingt années de luttes.

Les pré-pharisiens, face à la persécution d’Antiochus Épiphanes finirent par rejoindre le mouvement assidéen, mais s’en séparèrent progressivement à cause de la théocratie hasmonéenne. Il semble aussi que les pharisiens refusaient les pratiques mystiques liées au Livre d’Hénoch et les réformes calendaires implicites à ce texte; ainsi que leur interprétation ultra rigoriste des lois.

Les pesharîm (Pesher Nahum, Pesher Habakuk, etc.) montrent la rupture progressive entre Assidéens et Sadducéens qui étaient originellement un seul mouvement. La mystérieuse maison d’Absalom pourrait faire allusion à Absalon oncle et beau-père d’Aristobule II, et donc le probable jeune frère d’Alexandre Jannée qui se serait allié au parti pharisien et aurait participé à l’exécution de Diogène. Une partie des assidéens aurait refusé de soutenir militairement Aristobule dans sa lutte contre Hyrcan II, en estimant qu’ils n’avaient rien à voir avec des luttes de personnes: les assidéens ne seront pas plus des légitimistes hasmonéens qu’ils n’ont été des légitimistes sadocides. La rupture ne fera que s’amplifier lorsqu’Hyrcan II appellera les Romains et qu’Antigone Matthathias demandera l’aide des Parthes (–40) pour reconquérir son trône. Ils pourraient avoir rallié Hérode avec Menahem l’Essénien (peut-être l’auteur de 4QMMT). C’est à cause de l’origine commune des assidéens et des sadducéens que les manuscrits de la Mer Morte sont parfois considérés comme appartenant à cette dernière école; mais, en réalité, si les sadducéens conservèrent une interprétation scripturaliste de la Loi, ils acceptent le point de vue des pharisiens en ce qui concerne les sacrifices, ce que les assidéens n’accepteront jamais. Lors de la révolte de 66, les trois partis y participeront, mais leurs déchirements aideront les Romains dans leur anéantissement de la Judée. 
Les assidéens lorsqu’ils obtiennent des illuminations spirituelles, Flavius Josèphe dira qu’ils sont des esséniens, et lorsqu’ils combattent les Romains, il dira alors que ce sont des sicaires; en se gardant bien de dire qu’il s’agit des mêmes personnes, les sicaires doivent être considérés comme la branche armée des assidéens depuis la révolte contre le recensement de 5 jusqu’à la chute de Massada en 74. Les sicaires ne furent pas des brigands, mais bien les fidèles à l’idéal nationaliste judéen défendu pas Judas Macchabée et par les manuscrits de la Mer Morte.


Notes

1. Jean Hyrcan est né entre –180 et –160, grand-prêtre en –134, meurt en –104.
2. Aristobule Ier est né vers –130, grand-prêtre en –104, meurt en –103.
3. Salomé Alexandra: date de naissance inconnue, probablement vers –120, reine à la mort de son mari Jannée en –76, elle meurt en –67. D’après le Talmud, elle fut la sœur du chef du Sanhédrin Shiméon ben Shetah.
4. Aristobule eut une vie tumultueuse, roi et grand-prêtre de –67 à –63, après l’éviction de son frère Hyrcan II; il fera l’erreur de réclamer l’aide de Pompée contre Hyrcan II qui était soutenu par Antipater. Pompée annexera la Judée à Rome, placera Hyrcan II à la grande prêtrise et Antipater à la tête du gouvernement réel. Aristobule sera déporté à Rome. Il s’en échappera, mais sera à nouveau vaincu. Libéré vers –50 par César, il est envoyé pour s’opposer à Pompée qui le fera empoisonner.
5. Demetrius III: date de naissance inconnue, roi de Damas de –96 à –88. Il meurt en –87 de maladie, après avoir été battu et emprisonné par le roi des Parthes Mithridate II.
6. On peut se référer à Shani L. Berrin. The Pesher Nahum Scroll from Qumran. An Exegetical Study of 4q169. Leiden, Boston, Brill, 2004.
7. Voir l’ouvrage de Shani L. Berrin pour une discussion détaillée de ces hypothèses qu’il réfute tout au long de son livre.
8. «A Scroll from Qumran which includes Part of Psalm 154 and a prayer for King Jonathan and his kingdom», Tarbiz, 60, 1991, pp. 295–324.



Bruxelles, le 12 décembre 2015
— Stephan Hoebeeck

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