samedi 13 juin 2015

Les sadducéens

Les sadducéens s’appellent en hébreu les tzadûkîm (צדוקים); il est difficile de savoir si leur nom se réfère à Tzadôq, le premier des grands-prêtres d’Israël dont les descendants remplirent cette fonction jusqu’au Macchabées, ou si leur nom se réfère à l'exercice de la justice.

Les sources 
Flavius Josèphe dira d'eux dans La Guerre des Juifs (Livre II, chapitre VIII, §14):
Quant à la seconde secte [après celle des pharisiens], celle des Sadducéens, ils suppriment absolument le destin et prétendent que Dieu ne peut ni faire, ni prévoir le mal; ils disent que l'homme a le libre choix du bien et du mal et que  chacun, suivant sa volonté, se porte d'un côté ou de l'autre. Ils nient la persistance de l'âme après la mort, les châtiments et les récompenses de l'autre monde. Les Pharisiens se montrent très dévoués les uns aux autres et cherchent à rester en communion avec la nation entière. Les Sadducéens, au contraire, sont, même entre eux, peu accueillants, et aussi rudes dans leurs relations avec leurs compatriotes qu'avec les étrangers. Voilà ce que j'avais à dire sur les sectes philosophiques des Juifs.
Il dira encore dans Les Antiquités Juives (Livre XVIII, Chapitre I, §4):
La doctrine des Sadducéens fait mourir les âmes en même temps que les corps, et leur souci consiste à n'observer rien d'autre que les lois. Disputer contre les maîtres de la sagesse qu'ils suivent passe à leurs yeux pour une vertu. Leur doctrine n'est adoptée que par un petit nombre, mais qui sont les premiers en dignité. Ils n'ont pour ainsi dire aucune action ; car lorsqu'ils arrivent aux magistratures, contre leur gré et par nécessité, ils se conforment aux propositions des Pharisiens parce qu'autrement le peuple ne les supporterait pas.
Dans les évangiles, ils sont mentionnés, en association avec les pharisiens, comme voulants éprouver Jésus (Matthieu 16, 1–4); On lit en Matthieu 22, 23–33 (similaire en Marc 12, 18–24 et en Luc 20, 27–36):
Le même jour, les sadducéens, qui disent qu’il n’y a point de résurrection, vinrent auprès de Jésus, et lui firent cette question: «Maître, Moïse a dit : Si quelqu’un meurt sans enfants, son frère épousera sa veuve, et suscitera une postérité à son frère. Or, il y avait parmi nous sept frères. Le premier se maria, et mourut; et, comme il n’avait pas d’enfants, il laissa sa femme à son frère. Il en fut de même du second, puis du troisième, jusqu’au septième. Après eux tous, la femme mourut aussi. À la résurrection, duquel des sept sera-t-elle donc la femme? Car tous l’ont eue.» Jésus leur répondit: «Vous êtes dans l’erreur, parce que vous ne comprenez ni les Écritures, ni la puissance de Dieu. Car, à la résurrection, les hommes ne prendront point de femmes, ni les femmes de maris, mais ils seront comme les anges de Dieu dans le ciel.  Pour ce qui est de la résurrection des morts, n’avez-vous pas lu ce que Dieu vous a dit : Je suis le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, et le Dieu de Jacob ! Dieu n’est pas Dieu des morts, mais des vivants.» La foule, qui écoutait, fut frappée de l’enseignement de Jésus.
En Actes des Apôtres 5, 16–18, l'auteur mentionne que les sadducéens firent emprisonner des apôtres, et qu'un ange les fit évader. En Actes 23, 6–8, nous lisons:
Paul, sachant qu’une partie de l’assemblée était composée de sadducéens et l’autre de pharisiens, s’écria dans le sanhédrin: Hommes frères, je suis pharisien, fils de pharisien ; c’est à cause de l’espérance et de la résurrection des morts que je suis mis en jugement. Quand il eut dit cela, il s’éleva une discussion entre les pharisiens et les sadducéens, et l’assemblée se divisa. Car les sadducéens disent qu’il n’y a point de résurrection, et qu’il n’existe ni ange ni esprit, tandis que les pharisiens affirment les deux choses.
Tous ces discours sont caricaturaux, mais nous apprennent de nombreuses choses sur les sadducéens. Ils sont scripturalistes, et donc interprètent la loi sans se référer aux traditions orales. Ils sont principalement issus du monde sacerdotal, il semble que la majorité des qohanîm furent sadducéens. Nous savons enfin par Flavius Josèphe et cela est confirmé par le Talmud, que les sadducéens ne pouvaient pas appliquer leurs interprétations des lois lors des sacrifices gravides.

Un document trouvé à Qumran et intitulé 4MMT, pour grotte 4, Miqtsath ma'asè thorah, en français Quelques décisions légales relative à la Torah décrit plusieurs lois que la Communauté de Qumran considérait comme valide en opposition avec celles des pharisiens. Ils interdisaient les sacrifices d'animaux gravides, alors que les pharisiens les interdisaient; et nous aurions tendance à leur donner raison, parce que dans la décision suivante, ils disent que si un animal après avoir été sacrifié est découvert gravide, le sacrifice est néanmoins saint. Les pharisiens ont probablement cru que, si le sacrifice accidentel d'un animal gravide est valide, le sacrifice d'animaux dont il est déterminé qu'ils sont gravides avant le sacrifice seraient aussi saints. Ce n'est évidemment pas le cas. Les autres cas flagrants de contradictions entre pharisiens et loi écrite sous prétexte de loi orale ont amené les plus intransigeants des sadducéens à quitter le service du Temple, ce sont eux les esséniens. D'autres acceptèrent de se plier à la halakah pharisienne et restèrent en poste.

Notons qu'il ne faut pas voir une séparation radicale entre sadducéens et esséniens. Il est plus vraisemblable qu'entre –50 et 70, les décisions sadducéennes furent appliquées quand les sadducéens avaient le pouvoir, on peut supposer alors que les esséniens revenaient accomplir le service du Temple, et les décisions pharisiennes quand ils avaient le pouvoir, et alors les esséniens quittaient le Temple. Un certain nombre de grands-prêtre comme les Beothusiens et les ben Hanan, haïs dans le Talmud, eurent assez de puissance pour appliquer la halakha sadducéenne.

Les sadducéens semblent avoir eu le pouvoir à l'époque d'Alexandre Yannée. Ils semblent avoir aussi appliqué un calendrier différent du calendrier habituel, inspiré par celui d'Henoch. Nous pouvons en déduire que les sadducéens ne sont pas des épicuriens mais bien des mystiques. En fait, cette réputation d'épicuriens que Flavius Josèphe leur attribue est à situer dans sa vision des trois écoles du Judaïsme, les pharisiens sont des stoïciens juifs, les esséniens des pythagoriciens juifs et les sadducéens ne peuvent plus alors qu'être des épicuriens juifs, ce qui n'a guère de sens, mais qui   permettait à ses lecteurs romains de comprendre bien mal à propos les écoles juives.

En sachant que les esséniens sont des sadducéens intransigeants, nous comprenons alors que sadducéens et esséniens ne diffèrent que dans le degré de compromis que les uns et les autres sont prêt à faire avec les puissants perushîm ou pharisiens, mais absolument pas par la mystique qui est similaire. Les sadducéens ont une vision sacerdotale du Judaïsme, ils estiment que tous les commandements ne concernent pas l'ensemble des Juifs comme le voulaient les pharisiens. Il est donc vraisemblable que les sadducéens acceptaient l'usage des tefilin, mais seulement pour les prêtres alors que les pharisiens voulaient rendre le port des tefilin pour l'ensemble des Juifs. 

On doit enfin se demander si les sadducéens niaient la résurrection? La réponse est complexe, ils devaient probablement estimer que si le Judaïsme se lançait dans une religion avec des peines et des récompenses, les gens se mettraient à pratiquer pour obtenir des faveurs de Dieu, alors que la pratique doit être désintéressée. Ils étaient aussi des mystique de l'hénochisme qui considéraient que l'homme doit pratiquer une spiritualité afin d'entrer vivant dans l'éternité, et non attendre la fin des temps. Il n'est pas compliqué de comprendre que le patriarche Hénoch est encore vivant aujourd'hui, il est même considéré comme l'ange Metatron.

Les sadducéens préconisaient pour les Juifs un système moins important de commandements que celui des 613 mitsvoth, (pas pour les qohanîm qui étaient astreints à la totalité des commandements, et bien plus). Mais ils étaient infiniment plus rigoureux dans l'application des peines. Pour les pharisiens, plus de commandements, mais moins de rigueur dans les pénalités, pour les sadducéens, moins de commandements exigeaient une rigueur dure dans l'application des peines.

Les sadducéens ne soutenaient pas le port de la kippa pour l'ensemble des Juifs, mais il est possible qu'ils portaient eux-même une kippa, mais comme insigne sacerdotal. 

Notons qu'Idriss, l'équivalent arabe à Hénoch (même si l'Idriss du Coran a de nombreux traits empruntés à Hermès Trismégistes, dont c'est d'ailleurs le nom arabe) a comme étymologie doresh, étudier, or le mot doresh était un titre chez les esséniens, le plus haut personnage de l'essénisme portait soit le titre de Maître de Justice, soit le titre de Doresh haTorah, c'est-à-dire l'Interprète de la Torah... C'est probablement une évolution esséniens > nazaréens > nazaréens s'installent à Petra après la guerre de 115–118. Ils quittent Petra pour l'Arabie vers 500, suite à différents tremblements et s'installèrent en Arabie, Médine, La Mecque, etc. L'araméen de Petra est très proche de l'écriture arabe.

Les Qaraïtes peuvent être considérés comme des néo-sadducéens, ils ne diffèrent néanmoins pas des pharisiens en ce qui concerne le Tanakh, les sadducéens reconnaissaient comme canoniques le Livre d'Henoch et le Livre des Jubilés, les Qaraïtes non (mais, ces livres n'existaient plus à l'époque où apparurent les qaraïtes). Les qaraïtes furent influencés par la découverte de la grotte aux livres (vers 800) qui contenaient des exemplaires de l'Écrit de Damas et de la Sagesse de Ben Sira.

La rivalité des sadducéens et des pharisiens pourrait remonter à la disparition de la Grande Assemblée sous le patriarcat de Simé°on II le Juste. Cette disparition pourrait être le fruit d'une scission, avec un sanhédrin laïc qui édictait les règles pour les Juifs et un sanhédrin sacerdotal qui édictait les règles sacrificielles en usage au Temple. Dans le premier, les pharisiens régnèrent en maîtres, et dans le second, les sadducéens régnèrent en maîtres, jusqu'à ce que, en voulant faire une réforme radicale, les sadducéens perdent leur puissance. Les premiers qohanîm allaient dans tout Israël enseigner, etc. Vers –300, l'insuffisance de prêtres fit que ce furent des laïcs qui les remplacèrent, ce sont ces laïcs qui sont les futurs pharisiens.

Les sadducéens se sont peut-être constitués en partis après la révolte des Macchabées. Il est certain que le grand-prêtre  Jonathan dut négocier son pouvoir avec les pharisiens vers –140, ce qui laisse supposer qu'ils étaient déjà tout-puissants en Judée à cette époque, quoique la révolution des Macchabées fut une révolution conduite par des prêtres, comme si les pharisiens y avaient peu participer. Ce qui fait qu'on ne peut exclure que les sadducéens étaient pro-lagides à l'origine, et les pharisiens pro-séleucides.

Les sadducéens eurent pendant une courte période le pouvoir. Flavius Josèphe écrit dans les Antiquités, 13, 10, 6, après les insultes que firent les pharisiens au grand-prêtre Jean Hyrcan:
Mais un homme de la secte des Sadducéens — qui ont des idées opposées à celles des Pharisiens —, un certain Jonathas, qui était des meilleurs amis d’Hyrcan, prétendit qu’Eléazar n’avait insulté celui-ci que de l’assentiment général des Pharisiens: Hyrcan s’en convaincrait facilement s’il leur demandait quel châtiment Eléazar avait mérité par ses paroles. Hyrcan invita donc les Pharisiens à lui dire quelle punition avait méritée Eléazar; il reconnaîtrait que cette injure ne lui avait pas été faite de leur aveu, s’ils fixaient la peine à la mesure de l’offense. Ceux-ci répondirent: «Les coups et les chaînes», car une insulte ne leur paraissait pas mériter la mort; et d’ailleurs les Pharisiens sont par caractère indulgents dans l’application des peines. Hyrcan fut très irrité de leur sentence et conclut que le coupable l’avait insulté d’accord avec eux. Jonathas surtout l’excita vivement et l’amena à passer à la secte des Sadducéens, abandonnant celle des Pharisiens; il abrogea les pratiques imposées au peuple par ceux-ci et punit ceux qui les observaient. De là vint la haine du peuple contre lui et ses fils. Mais nous reviendrons sur ce point. Je veux maintenant dire simplement que les Pharisiens avaient introduit dans le peuple beaucoup de coutumes qu’ils tenaient des anciens, mais qui n’étaient pas inscrites dans les lois de Moïse, et que, pour cette raison, la secte des Sadducéens rejetait, soutenant qu’on devait ne considérer comme lois que ce qui était écrit, et ne pas observer ce qui était seulement transmis par la tradition. Sur cette question s’élevèrent des controverses et de grandes disputes, les Sadducéens ne parvenant à convaincre que les riches et n’étant pas suivis par le peuple, les Pharisiens, au contraire, ayant la multitude avec eux.
Ils conserveront le pouvoir pendant le règne d'Alexandre Jannée, mais, à sa mort, la reine Salomé Alexandra octroiera les pleins pouvoirs aux pharisiens.

Parmi les débats acharnés qui opposèrent sadducéens ou esséno-sadducéens aux pharisiens:
  • les pharisiens estimaient que le temps de la prophétie était clos, les esséno-sadducéens que de nouveaux prophètes pouvaient surgir;
  • les pharisiens étaient matrilinéaires et les esséno-sadducéens étaient patrilinéaires;
  • les conversions semblent avoir été plus faciles chez les esséno-sadducéens que chez les pharisiens;
  • il semble que pour les esséno-sadducéen, le converti soit juif et qu'ils conservaient au mot gèr (prosélyte, converti) son sens original, c'est-à-dire celui de résident-étranger. Pour les pharisiens, le converti est gèr, mais sa descendance est juive, y compris sans ascendance juive ethnique.
  • les pharisiens soutenaient une tradition orale mais, les sadducéens remarquaient que la Torah écrite fut perdue pendant une cinquantaine d'années, il est donc, pour eux, peu vraisemblable que la tradition orale aurait survécu alors que la Torah écrite ne subsistait plus; en outre, ils reprochaient aux pharisiens les contradictions entre certaines de leurs traditions orales et la Torah écrite. 
Notons enfin que le Judaïsme hellénistique doit être considéré comme sadducéen, plutôt que comme pharisien. Mais, leur sadducéisme doit s'entendre qu'ils soutenaient un judaïsme sacerdotal et scriptural, plutôt qu'un judaïsme laïc et révisé. Le judaïsme alexandrin ne semble pas avoir eu connaissance du Livre d'Henoch, par exemple, excepté à une époque après Philon d'Alexandrie. Le judaïsme hellénistique est un sadducéisme influencé en profondeur par la philosophie grecque.

Le sadducéisme se référait principalement au niveau de ses enseignements exotériques à la Sagesse de Ben Sira (L'Ecclésiastique) et au niveau spirituel au Livre d'Henoch, ainsi qu'à celui des Jubilés. Il est plus difficile de déterminer si la Règle de la Communauté date d'avant la rupture du Temple qui eut lieu vers –75, quand les pharisiens eurent les pleins pouvoirs; autrement dit si ce traité est déjà sectaire ou encore pré-séctaire.

Les sadducéens ne semblent pas avoir cru à l'immortalité de l'âme, après la mort corporelle, l'âme, privée de sa substance, s'éteint. Les sadducéens se contentaient des données bibliques. Mais les données bibliques suggèrent largement que les Justes bénéficient d'une félicité après la mort. Cette félicité est due à l'acquisition d'un corps spirituel. 

La question de la liberté individuelle est plus complexe à résoudre. Un texte comme le Discours des Deux Esprits ne laisse pas de place à la liberté individuelle, tout semble déterminé par Dieu. Il est possible que la forme que nous possédons de ce texte aie amplifié les aspects déterministes, mais qu'une version moins radicale aurait existé. Les spécialistes admettent que l'ordre des paragraphe a dû être modifié, ce qui pourrait impliquer aussi des réécritures. La croyance en la liberté de choix est de toute manière un concept grec, quasi étranger au Judaïsme. Il est enfin possible, c'est notre avis, que la liberté individuelle existe dans une certaine mesure, mais qu'elle est limitée par les bonnes et les mauvaises habitudes. 


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire