dimanche 20 octobre 2019

Jésus était-il un davidide (un descendant du roi David)?

A priori, l'affaire est entendue, Jésus était un davidide: ses généalogies le prouvent, sa naissance à Bethléem et différentes appellations qui se lisent dans les évangiles.

Ces éléments, probants en apparence, ne sont pas aussi fiables qu'on le pourrait le croire. En effet, les pharisiens révèrent les descendants du roi David; une grande partie de leurs dirigeants d'il y deux mille ans comme aujourd'hui sont des descendants réels ou supposés du roi David. On comprend donc très mal les disputes virulentes entre Jésus et les rabbins... 

Les généalogies
C'est déjà le premier problème, au lieu d'y avoir une généalogie, il y en a deux. Aucune des deux ne correspond strictement aux données de l'Ancien Testament. Par exemple, pour Matthieu, Jésus descend de Zorobabel par Salomon; alors que pour Luc, il descend de Zorobabel par Nathan. Enfin, les descendants de Zorobabel sont nommés dans le Livre des Chroniques et il y a absence complète de compatibilité entre ces différentes données. 
J'épargne aux lecteurs les hypothèses qui font de l'une des deux généalogies celle de Marie; en effet, cette information n'est pas justifiée par les évangiles; enfin, le père du père, etc. de Zorobabel ne sait pas être à la fois Nathan et Salomon. 
Une autre hypothèse serait de faire intervenir le lévirat. D'après Matthieu, Joseph est fils Jacob, de Matthan, d'Éléazar, etc.; d'après Luc, Joseph est fils d'Hélie, de Mathat, de Lévi, etc. Pour que le lévirat fonctionne, il faudrait que Héli et Jacob aient le même père, comme Matthan et Mathat pourraient être le même prénom, on va considérer que c'est une variante orthographique du même prénom. Admettons, mais alors pourquoi le père de Matthat/Matthan s'appelle Éléazar chez Matthieu et Levy chez Luc... Bref, cette explication convaincra les convaincus, mais personne d'autre.

Enfin, la généalogie de Joseph dans Luc contient une anomalie (3, 23–24): Joseph est fils d'Héli, de Mathat, de Levy, de Melchi, de Jannée. Melchi pourrait être une erreur pour roi, Jannée est bien le nom d'un roi de Judée, le roi Alexandre Jannée. Jannée est la forme grecque de Yannây, elle-même forme araméenne de Yèhônathan. Alexandre Jannée fut le fils du grand-prêtre Jean Hyrcan et naquit vers –130. Il fut rejeté par son père, mais devint roi et grand-prêtre à la mort de ses deux grands-frères (en –103). Extrêmement sévère, il dut faire face à une vaste révolte provoquée par des pharisiens. Pour ces derniers, la répression fut terrible. Après en avoir fait crucifier 800 d'entre eux, ils préférèrent s'exiler. Jannée mourut en –76. Son épouse prend possession du trône et confie la grande-prêtrise à Hyrcan qui semble le plus maléable des deux. Aristobule succèdera quelques mois à sa mère, mais l'intervention de Pompée en Judée transformera ce pays en province romaine et finalement échoira à Hérode, par la grâce des Romains.
Jannée a eu deux fils: Hyrcan et Aristobule. Hyrcan n'a eu que des filles. Aristobule a eu deux fils: Alexandre Jonathan et Antigone Mathathias. Alexandre Jonathan a eu un fils et une fille, le fils sera assassiné par Hérode à 17 ans et mourra sans postérité connue. Antigone Mathathias est mort aussi sans postérité connue, mais il n'est pas mort à 17 ans mais vers 35 ans... Il peut donc très bien avoir eu une descendance qui aurait été cachée à Hérode afin d'échapper à sa vengeance. Hérode haïssait les hasmonéens et veillera à exterminer tous les membres de cette famille, y compris sa femme et les deux fils qu'il eut avec elle. 
Flavius Josèphe a toujours prétendu que sa mère appartenait à la branche royale de la famille hasmonéenne, ce qui implique que le père de sa mère était d'ascendance hasmonéenne. De toutes les informations qu'il donne, par Hyrcan, il n'y a pas de postérité mâle; par Jonathan Alexandre, il y a un fils qui meurt jeune, et s'il avait eu un fils, Hérode l'aurait certainement fait disparaître. Il ne peut donc y avoir eu descendance hasmonéenne royale que par Antigone Mathathias.
Jonathan Alexandre, Yehônathan, c'est le nom hébreu, Alexandros, c'est le nom dans leurs rapports avec le monde greco-romain. Antigone Mathathias, Mathithyhû, c'est le nom hébreu et Antigonos, c'est le nom dans leurs rapports avec le monde greco-romain. Le nom hébreu d'Aristobule n'est hélas pas documenté, on sait que le nom hébreu d'Aristobule Ier était Yehudah, mais les monnaies ne permettent pas de trancher. 
Reprenons. Joseph est fils d'Héli, fils de Mathat (Antigone Mathathias) fils de Levy (Aristobule) fils du roi (melki) [Alexandre] Jannée. Cette hypothèse ferait de Jésus un prêtre issu des grands-prêtre et des rois de Judée. Enfin, la mère de Flavius Josèphe serait alors la sœur ou la cousine de Jésus; ce qui ferait de Flavius Josèphe, le premier biographe de Jésus, simplement à travers des souvenirs familiaux.

Enfin, rappelons que dans l'Évangile de Jean écrit (7, 42): L'Écriture ne dit-elle pas que c'est de la postérité de David, et du village de Bethléhem, où était David, que le Christ doit venir? On en peut dire plus clairement que Jésus n'est ni né à Bethléem ni un descendant de David. Quand les pharisiens interrogent Jésus sur de qui doit descendre le messie, la réponse de Jésus ne laisse planer aucun doute, il nie une ascendance davidide au messie... (Mt. 22, 41–46; Mc 12, 35–37; Lc 20, 41–44).

La naissance à Bethléem
Malgré qu'elle soit affirmée par Matthieu et par Luc, l'Évangile de Jean la nie. En outre Matthieu situe cette naissance avant la mort d'Hérode, donc avant –4: et Luc situe cette naissance à l'époque du grand recensement, donc en 6. Les deux narrations ressemblent donc à des histoires qui n'ont pas de fondements historiques, des inventions donc.

Les appellations «fils de David» dans les évangiles. 
Cette appellation n'existe pas en Jean et est même niée. Reste les trois synoptiques: Mt., Mc et Lc. Si on excepte les parties préliminaires (Mt. chap. 1–3/Lc chap. 1–3) et la mention du fils de David dans la demande relative à l'ascendance du messie, cette appellation apparaît 6 fois en Mt., 2 fois en Mc et 2 fois en Luc. Le deux mentions de Luc et de Mc sont au même endroit, il s'agit d'un AVEUGLE à Jéricho qui demande à être guéri (Mt. 20, 29–34; Mc 10, 46–53; Lc 18, 35–43) L'épisode est dédoublé chez Mt. (9, 27–30). 
Chez Matthieu, il reste donc quelques apparitions de ce titre:
  • Juste avant d'être accusé de magie. Mt. (12, 23) a Toute la foule étonnée disait, N'est-ce point le fils de David. Luc a seulement (11, 14): Toute la foule fut dans l'admiration. Mc pas de correspondance. 
  • La femme cananéenne appelle Jésus fils de David (Mt. 15, 22); chez Mc, il est juste dit qu'elle vint se jeter à ses pieds. De toute manière, comment une femme inconnue aurait pu savoir qu'il descendait de David. 
  • Quand Jésus entre à Jérusalem, les foules auraient chanté les hoshanoth, qui est un cycle de prière lié à souccot et pas à Pâque... Seul Matthieu dit Hasanna au fils de David (21, 9); ni Mc, ni Lc, ni Jn n'ont cette appellation de fils de David.
  • Quand Jésus aurait chassé les marchands du temple, Seul Matthieu dit que la foule aurait récité Hosanna au fils de David (21, 15); ni Mc ni Lc ne mentionnent rien de tel.

Conclusion
Il n'existe rien qui dans les évangiles établirait avec certitudes que Jésus aurait été un descendant du roi David.
  1. Les deux généalogies ne sont pas compatibles, et le début de celle de Luc décrit plutôt une ascendane hasmonéenne;
  2. La naissance à Bethléem est fictive pour Jean, quant à Mt et Lc ils se contredisent tant sur la date que sur les circonstances. 
  3. Les évangiles synoptiques certifient tous que des aveugles à Jéricho ont appelé Jésus Fils de David... Évidemment, des aveugles qui voient que Jésus est un davidide.
  4. On constate que dans les autres endroits des les parties synoptiques aux passages dans lesquels Matthieu affirme que la foule a appelé Jésus fils de david; ces passages n'existes pas ou diffèrent chez Luc et chez Marc.
  5. Une ascendance hasmonéenne permettrait aussi de comprendre la haine que les pharisiens lui vouaient; en effet, si l'arrière-arrière-grand-père de Jésus est le roi Alexandre Jannée; les pharisiens sont les descendants de ceux que le roi Jannée fit exécuter...  
Le début de la généalogie lucanienne aurait visé à présenter Jésus comme un messie issu d'Aaron; en effet, vers 100, les Romains connaissent les Juifs essentiellement par l'œuvre de Flavius Josèphe,  et ce dernier méprise les davidides dont il ne souffle mot; pour lui, la noblesse juive, c'est celle des prêtres fils d'Aaron... qui, outre les fonctions sacrificielles, sont souvent riches, et ont des fonctions judiciaires et militaires importantes.
La volonté de faire de Jésus un messie davidide serait un remaniement tardif, datant des années 130/135; en vue de faire de Jésus l'anti Bar Kokhbâ considéré comme un descendant du roi David et comme le messie attendu par les Juifs et donc, de montrer à Hadrien, que les chrétiens ne comptent pas se révolter avec les Juifs contre l'Empire romain.


Addenda
Cela fait longtemps que les commentateurs sont intrigués par l'emplacement de la généalogie de Jésus dans l'évangile de Luc; elle est disposée entre le baptême de Jean et la retraite au désert. La principale explication est de dire que Luc a disposé la généalogie à cet endroit, parce que Jésus commençait sa vie publique. Cette affirmation est un non sens, la vie publique ne commence qu'après les tentations. 

Si on suit Flavius Josèphe, Jean a été exécuté quand Antipas occupait la forteresse de Macharonte qu'il venait de conquérir puisqu'elle appartenait à Aretas IV de Petra et qu'elle déterminait la frontière de la Nabatée (à Aretas) et de la Pérée (à Antipas). Cette mention situe la mort de Jean au début de l'été 36. Cela ne laisserait comme moment pour l'exécution de Jésus que la Pâque 37. À cette époque-là, Caipha n'était plus grand-prêtre et avait été remplacé fin 34 par Jonathan ben Hanan; quant à Ponce Pilate, fin 36, le légat consulaire Lucius Vitellius l'avait renvoyé devant Tibère en le mettant en accusation pour ses exactions contre les Samaritains. D'après, cette datation, ni Qaifa ni Pilate n'ont pu juger Jésus. Il faut donc que Jésus ait été jugé et condamné quand Jean était encore en vie, donc vers 33/34. 

Enfin, l'emplacement de la généalogie juste avant les tentations nous renseigne sur l'original des évangiles. Jésus n'est issu d'une naissance miraculeuse, ni non plus ne serait devenu messie lors du baptême de Jean. Jésus est un ascète qui a réalisé une expérience spirituelle pendant se retraite dans le désert de Judée. L'évangile original aurait commencé ainsi: Généalogie de Jésus montrant son ascendance hasmonéenne; sa retraite au désert, les tentations sorte de remaniement des trois filets de Bélial dont Jésus sort triomphant, il commence alors à enseigner. La généalogie de Luc contiendrait alors des éléments historiques fondamentaux.


STEPHAN HOEBEECK








mardi 15 octobre 2019

Jésus est mort un 15 nissan!

Si dans tous les évangiles, Jésus se réunit avec ses disciples juste avant son arrestation, l’Évangile de Jean diffère des synoptiques au sujet de la date. 
Il faut d’abord rappeler que pour les Juifs de l’époque de Jésus, comme pour les Juifs actuels, les jours changent au coucher du soleil. Le jeudi 14 nissan devient au coucher du soleil le vendredi 15 nissan. La fête de Pâque aujourd’hui ne se déroule plus comme à l’époque de Jésus ; en effet, le Temple était encore debout et les sacrifices étaient toujours pratiqués. Les rabbins ont abrogé le sacrifice pascal à cause de l’exil parmi les nations ; les qaraïtes ne partagent pas cet avis et sacrifient un agneau à Pâque. Actuellement, certains rabbins israéliens ont remis ce sacrifice en honneur, mais leurs décisions ne se sont pas généralisées parmi les Juifs. La fête de Pâque à l’époque de Jésus se déroulait ainsi : la journée du 13 nissan et la soirée du 14 nissan, les Juifs enlevaient de leurs maisons tous les ferments ; le matin et le début d’après-midi du 14 nissan, les Juifs suivaient les chants pascals au Temple de Jérusalem. À la neuvième heure du jour, les Juifs sacrifiaient un agneau en souvenir de la libération d’Égypte. Quand le soleil était coucher, commençait le repas pascal et l’agneau était mangé pendant la nuit, les reste étaient consumés avant le lever du soleil. Outre l’agneau, ils mangeaient des herbes amères et du pain sans levain. Ce jour était le premier jour des azymes ou le 15 nissan, c’était aussi une convocation sainte pendant laquelle les mêmes interdits que ceux du sabbat étaient d’application. Pendant, le 14 et le 15 nissan, le Sanhédrin était fermé ; d’abord parce qu’il ne siège que le jour du lever au coucher du soleil et jamais la nuit, excepté si un condamné doit être exécuté au lever du soleil et qu’une preuve l’innocentant aurait été trouvée. Le Sanhédrin ne juge pas le 14 nissan, parce qu’il est présent au Temple pour surveiller les cérémonies pascales et aider les prêtres à vérifier que les agneaux puissent être sacrifiés ; quant au 15 nissan, le Sanhédrin ne peut siéger pendant un sabbat, parce que leur fonction exigerait qu’ils fassent des choses interdites ce jour-là. 
On lit dans les Synoptiques : 
Le premier jour des pains sans levain, les disciples s’adressèrent à Jésus, pour lui dire : « Où veux-tu que nous te préparions le repas de la Pâque ? » (Mt. 26, 17)


Et il envoya deux de ses disciples, et leur dit : « Allez à la ville ; vous rencontrerez un homme portant une cruche d’eau, suivez-le. Quelque part qu’il entre, dites au maître de la maison : “Le maître dit : Où est le lieu où je mangerai la Pâque avec mes disciples ?” Et il vous montrera une grande chambre haute, meublée et toute prête — c’est là que vous nous préparerez la Pâque. » (Mc 14, 13–15) 

Le jour des pains sans levain, où l’on devait immoler la Pâque, arriva, et Jésus envoya Pierre et Jean, en disant : « Allez nous préparer la Pâque, afin que nous la mangions. » (Lc 22, 7–8)
Pour ces trois évangiles, Jésus a partagé le seder pascal le 15 nissan au soir. 
Pour dater la mort de Jésus, dans Jean on dispose des affirmations suivantes :
Avant la fête de Pâque [d’après les Synoptiques, c’est avant], Jésus, sachant que son heure était venue de passer de ce monde au Père, et ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, mit le comble à son amour pour eux. (Jn 13, 1)


Ils conduisirent Jésus de chez Caïphe au prétoire : c’était le matin. Ils n’entrèrent point eux-mêmes dans le prétoire, afin de ne pas se souiller, et de pouvoir manger la Pâque. [Nous sommes dont avant le sacrifice pascal.] (Jn 18, 28) 

C’était la préparation de la Pâque, et environ la sixième heure. Pilate dit aux Juifs : « Voici votre roi. » (Jn 19, 14)
Il ne fait aucun doute que pour les Synoptique, Jésus a mangé avec ses disciples, été arrêté, jugé, condamné, fouetté, crucifié et est mort le 15 nissan. Alors que pour Jean, ces événements ont eu lieu le 14 nissan. 
On a tenté d’expliquer ce problème par un double calendrier, et la découverte d’un calendrier alternatif appliqué par les esséniens a été une aubaine pour expliquer la double datation sans pour autant remettre en cause l’une ou l’autre narration. Celle-ci est simple, Jésus a été crucifié un vendredi 14 nissan suivant le calendrier pharisien ; mais pour les esséniens ce vendredi était le 17/i de leur calendrier. Jésus aurait donc mangé le seder pascal qui était le mercredi 15/i des esséniens qui était le mercredi 12 nissan des pharisiens. Il aurait été déféré au Sanhédrin la journée du mercredi et transféré à Pilate le jeudi 13 nissan au matin. Ce dernier aurait tenté de renvoyer Jésus à Antipas qui n’aurait pas voulu le juger. Pilate l’aurait condamné le jeudi soir. Le vendredi matin Jésus aurait été fouetté et conduit à la crucifixion où il serait mort le même jour. Que cette explication contredise totalement la narration évangélique ne semble pas grave ; en effet, les évangiles ne situent pas ces événements sur plusieurs jours, mais sur un seul. 
La construction de la mort de Jésus un 14 nissan est néanmoins une fantaisie théologique propre à Jean, afin qu’il puisse être identifié à l’agneau pascal. Le rédacteur de cet évangile a conservé plusieurs passage de la version originale pour laquelle la mort de Jésus était conforme aux Synoptiques, savoir qu’il a été exécuté le 15 nissan. 
Quant on lit dans cet évangile, que Jésus reçut du vinaigre à boire alors qu’il était sur la croix, fixé à une branche d’hysope (Jn 19, 28–30), il est clair que pour l’auteur on est le 15 nissan, ou ceci est obligatoire. 
Ou quand on y lit que (Jn 18, 5–11), lorsque les Romains vinrent l’arrêter, et que plusieurs de ses compagnons ont sorti leurs épées afin de le défendre. Jésus leur demande s’ils viennent l’arrêter lui ou lui et ses compagnons. Quand ils lui répondent qu’ils ne viennent que pour lui, Jésus ordonne à ses troupes de rengainer leurs épées et dit qu’il ne résistera pas. Cette scène absente des synoptiques n’a de sens que si on est bien le 15 nissan ; en effet, le 15 nissan est un sabbat. À l’époque de Jésus, si un homme est attaqué un sabbat, il a le droit de se défendre ; mais si son compagnon est attaqué personnellement, il ne peut intervenir en sa faveur et doit, éventuellement, le laisser se faire tuer. Jésus, ayant constaté que les Romains ne viennent arrêter que lui, il ne veut pas que ses compagnons enfreignent le sabbat pour lui et il leur demande donc de ne pas intervenir.
Ces deux exemples montrent que Jésus a bien été arrêté le 15 nissan, la chronologie des synoptiques est seul valable.
Une arrestation le 15 nissan implique quand même un certain nombre de choses. En premier, cette date étant un sabbat, ceux qui l’ont arrêté sont exclusivement des Romains. Il n’est jamais passé devant le Sanhédrin, ni non plus devant Anne, ni devant Antipas. Il a été incarcéré et présenté au petit matin à Pilate. Pilate devait être suffisamment au courant des coutumes juives pour savoir que si Jésus été exécuté à cette seule date, les Juifs n’oseraient pas se révolter. Ils ont donc dû regarder leur messie mourir, c’était pour Pilate une manière de les humilier et de leur montrer que leurs traditions étaient ridicules. Jésus a probablement été fouetté afin que sa mort soit rapide (300 coups sont mortels, en l’absence de soin, ceux qui ont survécu ne vivent que quelques heures), il ne s’agissait pas pour Pilate qu’il soit encore agonisant le 16 nissan. Enfin, il n’a pas été aidé à porter sa croix et l’homme ne revenait certaintement pas des champs, c’était sabbat. 
Quant au calendrier esséniens, j’en ai proposé une analyse dans un ouvrage à paraître en 2020, et les dates du 15/I et du 15 nissan diffèrent chaque fois d’une semaine au moins pendant la période 29 à 34. Le calendrier essénien est un calendrier de 364 jours auquel on ajoute une semaine intercalaire tous les cinq ou six ans. Cette analyse tient compte de la totalité des éléments dont nous disposons dans les textes anciens; elle ne deviendra publique qu'avec l'édition de l'ouvrage (Histoire des Esséniens).
La mort de Jésus ne fait aucun mystère : il était de sang royal, il avait de nombreux disciples et il avait fait du grabuge au Temple, avec le soutien probable des prêtres pauvres, généralement très pieux et regardant l’entrée des marchands dans le Temple comme une profanation. Pour Pilate, il était clair qu’il préparait la révolution en vue de bouter les Romains hors de Judée ; il fallait supprimer le factieux avant que la situation n’échappa complètement au contrôle des Romains et en faisant un minimum de dégâts, c’est-à-dire en le faisant mourir à un moment où les Juifs devraient le regarder mourir sans pouvoir intervenir pour ne pas enfreindre le repos de la Convocation sainte du 15 nissan. 


Quand la première vie de Jésus a été traduite en grec, les traducteurs ont dû se dire que les Romains avaient vraiment le mauvais rôle, et que c’était lui le peuple déicide. Ils ont donc réarrangé l’histoire pour charger le peuple Juif de la mort de Jésus, ancrant l’antisémitisme chrétien pendant presque deux mille ans. Ils ont eu facile, la plupart des païens qui devenaient chrétiens ignoraient tout des coutumes juives, ils ne pouvaient pas savoir que le 15 nissan le Sanhédrin était fermé, et d’autres éléments qui montrent le peu de crédibilité qu’il faut accorder à la narration évangélique. 

— Stephan HOEBEECK


mercredi 11 septembre 2019

Le christianisme de Jésus contre le christianisme des chrétiens...


Le christianisme entend s’imposer sur la base du sacrifice de Jésus seul moyen pour être sauvé. Cette idée est néanmoins fausse. L’Ancien Testament donne une valeur aux sacrifices, mais il faut savoir que dans la réalité juive biblique le recours aux sacrifices pour les purification provenait surtout des prêtres pour lesquels les règles de pureté étaient nettement plus contraignantes que pour les Juifs. Après la destruction du Temple, les chrétiens ont présenté Jésus comme l’unique moyen d’être sauvé, faisant de sa mort un sacrifice permanent qui rachète les fautes. Une telle doctrine n’a rien a voir avec l’enseignement de Jésus. Les Juifs estiment depuis longtemps que les ablutions et le repentir équivalent aux sacrifices, d’autant plus qu’en l’absence du Temple ils n’étaient pas possibles. 
Dieu en Isaïe 1, après avoir constaté les abus dans le recours au sacrifice dit à Son prophète:
16 Lavez-vous, purifiez-vous, écartez de mes yeux l'iniquité de vos actes, cessez de mal faire. 17 Apprenez à bien agir, recherchez la justice; rendez le bonheur à l'opprimé, faites droit à l'orphelin, défendez la cause de la veuve. 18 Oh! Venez, réconcilions-nous, dit l'Eternel! Vos péchés fussent-ils comme le cramoisi, ils peuvent devenir blancs comme neige; rouges comme la pourpre, ils deviendront comme la laine. 19 Si vous consentez à m'obéir, vous jouirez des délices de la terre. 20 Que si vous refusez et vous montrez indociles, vous serez dévorés par le glaive: c'est la bouche de l'Eternel qui le déclare.
Comme on le voit, le repentir, la justice sont autant de choses qui octroient le pardon divin… et c’est même pire, sans ces choses, les sacrifices sont sans valeurs. Jésus le dit aussi (Mt. 5, 23–24): 
Si donc tu présentes ton offrande à l'autel, et que là tu te souviennes que ton frère a quelque chose contre toi, laisse là ton offrande devant l'autel, et va d'abord te réconcilier avec ton frère; puis, viens présenter ton offrande.
Jésus dit encore dans le même évangile après avoir énoncé le Notre Père (6, 14–15):
Si vous pardonnez aux hommes leurs offenses, votre Père céleste vous pardonnera aussi; mais si vous ne pardonnez pas aux hommes, votre Père ne vous pardonnera pas non plus vos offenses.
Luc écrit encore (11, 39–41):
Vous, pharisiens, vous nettoyez le dehors de la coupe et du plat, et à l'intérieur vous êtes pleins de rapine et de méchanceté. Insensés! celui qui a fait le dehors n'a-t-il pas fait aussi le dedans? Donnez plutôt en aumônes ce qui est dedans, et voici, toutes choses seront pures pour vous.

Bref, il faut faire le bien pour obtenir le pardon des fautes.
On constate d’ailleurs aussi que le baptême avait cette fonction, puisque Luc écrit que Jean prêchait 
le baptême de repentance pour la rémission des péchés.
Flavius Josèphe qui avait été baptiste pendant plusieurs années (son maître Bannous était baptiste) en parle dans ses Antiquités Juives quand il mentionne l’exécution odieuse de Jean par Antipas, il dit (18, 117): 
En effet, Hérode l'avait fait tuer, quoique ce fût un homme de bien et qu'il excitât les Juifs à pratiquer la vertu, à être justes les uns envers les autres et pieux envers Dieu pour recevoir le baptême ; car c'est à cette condition que Dieu considérerait le baptême comme agréable, s'il servait non pour se faire pardonner certaines fautes, mais pour purifier le corps, après qu'on eût préalablement purifié l'âme par la justice. 
Les enseignements fondamentaux de Jésus ne concernent pas son pseudo sacrifice, mais des questions relatives aux convertis et aussi à l’obligation de renoncer à soi-même. L’homme quand il fait le bien, il ne doit en tirer aucune gloire, il doit dire comme en Luc 17, 10: 
Nous sommes des serviteurs inutiles, nous avons fait ce que nous devions faire.
Ou Luc 9, 23:
Si quelqu'un veut venir après moi, qu'il renonce à lui-même, qu'il se charge chaque jour de sa croix, et qu'il me suive.
Ses enseignements sur les obligations que l’homme a face à Dieu ne diffèrent en rien des manuscrits esséniens de Qumran, comme on pourra le comprendre avec les quelques extraits suivants qui proviennent de l’Écrit de Damas (La teneur exacte des Lois par l’enseignant pour les fils de lumières afin qu’ils se gardent des voies d’impiété):
La longanimité (de Dieu) est auprès de lui, ainsi que la plénitude des pardons, afin d’absoudre ceux qui se rétractent du péché. Cependant (il exerce) la force, la puissance et une intense fureur avec des flammes de feu et par tous les anges de destruction contre ceux qui dévient de la voie et abhorrent la prescription, les (laissant) sans reste ni rescapé. (CD II, 4–7)
Ou:
Et maintenant, ô fils, écoutez-moi, et j’ouvrirai vos yeux pour voir et comprendre les œuvres de Dieu ; pour choisir ce qu’Il veut et rejeter ce qu’Il hait ; pour marcher parfaitement 16. dans toutes ses voies et ne pas continuer dans les pensées d’un penchant coupable et (avec) des yeux luxurieux, car plusieurs se perdirent dans ceux-ci. Des héros vaillants trébuchèrent (même) à cause de ceux-ci depuis des temps anciens et jusqu’à maintenant. Quand ils eurent marchés dans l’obstination de leur cœur, les Vigilants des cieux tombèrent ; ils tinrent bien dans cela car ils n’avaient pas observé les commandements de Dieu. Et leurs fils, qui (sont) aussi hauts (que) des cèdres majestueux et dont les corps (sont) comme les montagnes, tombèrent également. Toute chair qui était sur la terre sèche, elle mourut aussi, et ils furent comme s’ils n’avaient jamais été, parce qu’ils avaient fait leur (propre) volonté et n’avaient pas observé les commandements de leur Créateur, jusqu’à ce que Sa colère s’enflamme sur eux. (CD II, 14–21)
Il serait possible de multiplier à l’infini les citations des écrits piétistes juifs de l’Antiquité dans lesquels s’enracine le message original de Jésus; avant que ses disciples peu avisés ajoutent des folies comme sa prétendue divinité, sa prétendue naissance miraculeuse et le prétendu salut qu’offre sa mort.

On ne doit pas tout critiquer, si l’histoire est mythique, le christianisme a nettement tenté de rehausser la morale des païens. Néanmoins sa doctrine du salut a mené à des impasses, par exemple, le pardon accordé aux prêtres pédophiles… Alors que Jésus dit qu’il vaudrait mieux leur mettre une pierre autour du cou et les jeter dans la mer…  Les hommes n’avaient pas confiance en Dieu, il leur fallait un intermédiaire, alors ils ont eu Jésus; puis ils n’ont plus eu confiance en Jésus, alors ils ont eu la vierge Marie…. 
Amis chrétiens, Dieu est notre Père à tous, ayez confiance en Lui, Il n’oublie personne.

Bref, si Jésus fut un enseignant, les évangiles ont des sens cachés, ils expliquent certains secrets spirituels sous un langage imagé; malheureusement, ce langage a fait croire aux chrétiens à une dimension historique de ces écrits; alors qu’ils ont une dimension spirituelle seule véritablement importante. Enfin, les rédacteurs chrétiens des évangiles en grec ont soigneusement caché que pour Jésus, les non-juifs avaient une mission, celle de devenir des nazaréens qui amèneraient progressivement le monde à baser ses lois sur la Torah; les chrétiens ont clairement failli en écoutant cette sirène de Paul qui leur a fait croire que la Loi était quelque chose d’inutile, alors que c’est le fondement et la finalité du message de Jésus…

Enfin, Jésus a certainement été de son vivant un çaddik, quelqu'un qui prenait les fautes des autres sur lui; afin que leur vie en soi facilitée et que leur repentir soit plus facile...

mercredi 6 décembre 2017

La fin d'une injustice de 2000 ans

En –63, le conflit entre Hyrcan II et Aristobule II a poussé Scipion à intervenir directement en Judée. En –37, Hérode obtient du Sénat de Rome la couronne royale de Judée et corrompt Marc Antoine pour qu’il fasse exécuter Antigone Mathathias le dernier roi et grand-prêtre hasmonéen. À la mort d’Hérode en –4, le royaume de Judée est divisé en quatre principautés par Auguste. La mauvaise gestion d’Archélaos pousse Auguste à nommer un préfet. Les préfets et procurateurs qui administreront la Judée provoqueront un tel mécontentement qu’éclatera la grande révolte de 66. Les Juifs divisés en factions, se combattant plus qu’ils ne combattent les Romains finiront vaincus, et le IIe Temple sera détruit lors des affrontements entre légions romaines et zélotes (probablement de beth Shammay). Les cadavres empestent Jérusalem et Titus en ordonnera la destruction complète. Titus succède à son père Vespasien en 79, mais quelques mois plus tard les laves du Vésuve viennent engloutir Pompéi et Herculanum. À cette catastrophe succède un incendie qui ravage Rome et une épidémie de peste qui emporte Titus lui-même. En mourant, il dira qu’il n’a commis qu’une erreur; certains supposent que c’est de ne pas avoir ordonné la reconstruction du Temple de Jérusalem, c’est en effet une tradition romaine bien établie que de reconstruire un Temple détruit à cause de combats. C’est son frère Domitien qui lui succède, mais représentant du clan des païens radicaux, il fait exécuter la reine Bérénice de Judée, l’amante de Titus, et balaie tout espoir de reconstruction. En 115 éclate la plus grande révolte juive de l’Empire romain qui sera réprimée par Lusius Quietus et qui entraînera la déportation des Juifs de l’Empire en Judée. Quand Hadrien monte sur le trône en 119, il fait sommairement exécuter Lusius Quietus, afin d’apaiser les Juifs. En 130, il s’engage à rebâtir et puis, grave retournement de situation, il décide de construire un Temple de Zeus sur les ruines de l’ancien Temple et interdit la circoncision, les Juifs sous la conduite de Shiméon bar Kôkhebâ connaissent d’abord plusieurs victoires, mais les Romains mobilisent presque la moitié des légions et engagent d’innombrables auxiliaires… Shiméon bar Kokhebâ mourra pendant la prise de Betar en 135. Les Romains interdisent que les cadavres des révoltés soient enterrés, leurs squelettes resteront exposés pendant 20 ans, c’est finalement Antonin le pieux qui dans un accord de paix autorisera l’exilarque de faire enterrer les soldats et les innombrables victimes civiles juives des combats. L’empereur Julien autorisera les Juifs à reconstruire le Temple, mais sa mort viendra interrompre les travaux… La dernière grande révolte juive de 620–629 fut conduite par Nehemiah ben Hushiel et Benyamin de Tibériade, mais ils furent vaincus par l’empereur Héraclius.
L’empire romain a disparu, mais disparu n’est pas le bon mot, il s’est transformé, les USA sont réellement l’héritier de cet immense Empire. Suite aux affrontements avec cet Empire, le peuple juif fut privé d’une souveraineté territoriale qui dura presque 21 siècles (en effet, de –63 à 70, la souveraineté de la Judée était quasi inexistante, les empereurs de Rome décidant de tout, après cette date, les Juifs ne pouvaient parfois même plus résider en Judée…) Sans État souverain, les Juifs connurent d’innombrables persécutions qui culminèrent avec la Shoah… C’est sous la conduite de la Grande-Bretagne d’abord et des USA ensuite, qu’en 1948, les Juifs purent enfin reconstruire leur État. Maintenant les USA reconnaissent que Jérusalem est bien la capitale d’Israël et je forme l’espoir que bientôt le IIIe Temple sera construit. Cyrus fut appelé par Isaïe, le messie des nations, parce qu’il autorisa les Juifs à rentrer en Judée, à relever les murailles de Jérusalem et à reconstruire le Temple; avec la reconnaissance de Jérusalem comme capitale d’Israël, il semblerait que nous suivons la même logique qui devrait amener à la construction prochaine du IIIe Temple; ainsi une injustice de 2000 ans sera enfin réparée… Cela ne comblera pas les épreuves terribles que subirent les Juifs pendant 2000 ans, mais cela donnera un espoirs aux descendants des survivants.

— Stephan HOEBEECK

dimanche 16 octobre 2016

Les deux Jésus des évangiles

Les chrétiens sont convaincus que l'Ancien Testament est une préfiguration du Nouveau Testament et ils sont aussi convaincus que le Nouveau Testament permet de comprendre l'Ancien... Pourtant, il suffit de lire l'exégèse rabbinique et l'exégèse chrétienne de l'Ancien Testament pour se rendre compte que le christianisme ne comprend pas grand-chose à l'Ancien Testament. En effet, quand on lit l'exégèse rabbinique, on a plutôt l'impression que quand Jésus donne la compréhension de l'Écriture, l'Esprit Saint a atterri chez les rabbins plutôt que chez les Pères de l'Église. En réalité, les chrétiens rejettent l'Ancien Testament, pas franchement, mais subtilement, comme un vieux vêtement usé qu'on conserve plus par souvenir que par amour. 
Le christianisme s'est embrouillé dans les évangiles: paulisme, ébionisme, guerres judéo-romaines; mais les éléments non-chrétiens dont nous disposons: écrits intertestamentaires, manuscrits de Qumran, œuvres de Flavius Josèphe et de Philon d'Alexandrie, Talmud, permettent aujourd'hui de déterminer le véritable sens des évangiles et en quoi il donne une compréhension de l'Ancien. 
Les évangiles ont été écrits et réécrits un nombre incalculable de fois, ils offrent donc un nombre important de contradictions dues aux ajouts successifs et aux ratures. De plus, les épîtres pauliennes, particulièrement obscures, offrent une grille de lecture des évangiles, et le chrétien est prié de faire de cet ensemble indigeste une lecture unifiée malgré les contradictions.

Les évangiles dans la forme où ils nous parvenus ne sont pas anciens, Marcion, à Rome, n'a vu en 138 qu'une copie des évangiles, et son possesseur ne les montrait à personne; de plus, les évangiles de Matthieu et de Luc commençaient comme celui de Marc, avec le baptême de Jean le Baptiste... En 150 encore, Justin Martyr appelle les évangiles les «Mémoires des Apôtres», ce qui pourrait confirmer que c'est bien Marcion qui a appelé ces mémoires les évangiles, c'est probablement aussi lui qui a intitulé le Tanakh Ancien Testament et les évangiles et les épîtres de Paul Nouveau Testament. Les Ébionites ont d'ailleurs accusé Marcion d'avoir falsifié les évangiles et d'être l'auteur des épîtres pauliennes, en tout cas de les avoir fortement retouchées, les Homélies Clémentines suggèrent d'ailleurs que c'est bien Marcion qui a eu la vision du Christ sur le chemin de Damas... La vie de Marcion offre un remarquable trou noir, il quitte sa patrie vers 125 et réapparaît à Rome en 138; on ignore tout de l'endroit où il passa ces 13 années. Néanmoins, on sait de source quasi certaine que le père de Marcion était un converti au judaïsme; on peut donc supposer que comme de nombreux judaïsants il a vécu une partie de ces 13 années en Judée. 
On sait que dans les prophéties qui marquent l'imminence de la fin des temps, il y a la mention du retour des Juifs en Judée; or, suite à la révolte de 115–118, Lucius Qietus a déporté les Juifs en Judée: Chypre, Alexandrie, l'Égypte, la Cyrénaïque étaient totalement vides de Juifs (si on excepte les métis et les convertis), ceux-ci furent soit tués, soit réduits en esclavage, soit déportés en Judée. Certains esprits échauffés virent dans cet événement comme une préfiguration de l'imminence de la fin des temps. C'est ainsi que Bar Kokheba parvint à se faire proclamer «messie», christ donc, et mènera une lutte contre les Romains qui finira par un bain de sang aux proportions apocalyptiques. 

Le christianisme émerge réellement dans les années qui suivent cette révolte, sans nier qu'il y ait eu des chrétiens avant, ceux-ci nous sont inconnus, mais sont probablement ébionites, ils ne croient pas en Jésus, mais accomplissent les préceptes de la Torah quoique non-juifs et prennent les armes en faveur d'une Judée libre et indépendante. Les ébionites étant plutôt sacerdotaux que rabbiniques, ils ont une très grande vénération pour le Temple qu'ils espèrent voir reconstruit. 

Rien ne se perd rien ne se crée tout se transforme, cette phrase est probablement vraie pour le christianisme: l'apparition du christianisme marque la disparition du judaïsme alexandrin. Un texte du IIIe siècle, les Constitutions Apostoliques nous a conservé la première liturgie chrétienne, on sait aujourd'hui que la première liturgie chrétienne est simplement la liturgie en usage dans les synagogues de langue grecque: les chrétiens sont donc bien les judaïsants et les métis judéo-grecs. C'est donc dans ce milieu spécifique qu'il faut essayer de comprendre les évangiles; en effet, si massivement, ces hommes et ces femmes rallient le christianisme, c'est que pour eux, le christianisme représente assez clairement ce à quoi ils sont attachés.

Le judaïsme alexandrin est confronté depuis –100, à l'attaque des philosophes grecs. Ces derniers se moquent des Juifs en disant que le Dieu d'Israël n'est qu'un Zeus ou un baal parmi d'autres et qu'il n'est pas le vrai Dieu. Ces philosophes estiment que le vrai Dieu est forcément inconnaissable, il n'entretient pas de contact avec les hommes et a confié l'univers à ses fils, qui sont les logoï ou les dieux. La philosophie est monothéiste mais, leur Dieu Un est inactif et impassible: Lui et nous sommes comme deux droites parallèles qui jamais ne se rencontrent. Dans ce cadre-là, le Dieu de la Bible qui agit, descend sur terre, connaît les hommes, ne peut-être le vrai Dieu. C'est Philon qui leur répliquera qu'il n'y a pas des logoï mais un seul Logos qui est le deuxième dieu, le fils de Dieu, etc. La philosophie de Philon est très simple, dès que Dieu fait quelque chose dans la Bible, ce n'est pas Dieu qui le fait mais le Logos de Dieu qui le fait à sa place. Ce n'est pas Dieu qui parle à Moïse, mais le Logos de Dieu qui parle à Moïse, ce n'est pas Dieu qui nourrit les israélites dans le désert, mais le Logos de Dieu qui nourrit les israélites dans le désert. Philon a réécrit la Bible en langue philosophique... Si les Juifs d'Alexandrie, les métis judéo-grecs et les convertis issus du paganisme étaient convaincus de l'interprétation philonienne de la Torah, les rabbins de Yavneh l'étaient beaucoup moins. Eux rejetaient ce type d'interprétation, pour eux, Dieu agit réellement et, malgré son infinité entre dans l'histoire, ce Dieu est le vrai Dieu et n'est pas remplacé par un archange, un fils dans son action envers les hommes. 

Observons les miracles de Jésus, ceux-ci imitent des miracles décrits dans l'Ancien Testament, la tempête apaisée, la pêche miraculeuse, la marche sur les eaux, les lépreux guéris, la main paralysée guérie sont autant de miracles attribués à Dieu dans le Tanakh. Jésus est donc fondamentalement pour les chrétiens des années 120–140, non un homme, mais bien le Deuxième Dieu, archange, Logos, Fils de Dieu, etc. décrit par Philon. Ce dernier dira d'ailleurs que la fonction du Logos est d'être le Dieu Sauveur, en hébreu Yehôshu°a... Jésus. Dans cet évangile primitif, les miracles de Dieu dans le Tanakh sont décrits comme étant les miracles du Logos de Dieu et non de Dieu qui est impassible et qui ne sait donc pas faire de miracles. 

Mais ces judaïsants sont confrontés à un autre problème, comment expliquer leur interprétation philosophique de la Bible quand la majorité des gens sont analphabètes? Ils vont composer une allégorie qui rend compte de la vérité de la Bible dans le cadre de la philosophie grecque et des mœurs de l'époque: ils vont dire que c'est un homme. 

Le problème c'est que l'époque connaît effectivement un homme appelé Jésus... et le Logos de Dieu et cet homme vont se confondre. 

Le Jésus de l'histoire n'a rien à voir avec les miracles de Jésus, c'est un homme fils d'un homme, crucifié pour son refus de payer l'impôt à césar (voir évangile d'egerton) et pour sa révolte contre Qaïphe dans le cadre du transfert de la Hannuth dans l'enceinte même du Temple. Jésus était certainement un personnage important, probablement un prince hasmonéen, donc un prétendant légitime au trône de Judée. Si on en croit Flavius Josèphe, la famille royale hasmonéenne s'est éteinte dans la lignée d'Hérode; or, il prétendait que sa mère était une hasmonéenne et on retrouve dans la généalogie de Jésus, la mention qu'il est l'arrière-arrière petit fils du roi de Judée et grand-prêtre Alexandre Jannée. Alexandre Jannée a probablement eu deux épouses, ce que Flavius Josèphe se garde bien de dire, de Salomé Alexandra sortiront les hasmonéens qui s'éteindront avec Hérode (mariage d'Hérode avec Mariamné l'hasmonéenne) et exécution des autres membres de la famille...  et d'une autre épouse peut-être la fille du Maître de Justice, une autre lignée donc qui se réfugiera en Galilée. C'est de cette lignée que sortira la turbulente famille de Judas le Galiléen, mais aussi Jésus et la mère de Flavius Josèphe. 
Il est assez clair que la dynastie de Judas le Galiléen a une prétention messianique et royale; or, leurs pires ennemis sont les pharisiens. Leurs prétentions messianiques ne peuvent donc être davidides (sans quoi les pharisiens les auraient soutenus), elles sont donc aaronides et conformes aux manuscrits de Qumran qui attendent un messie sacerdotal.
Le Jésus de l'histoire est donc un personnage fortement révolutionnaire et un strict observant de la Torah, hostile aux pharisiens (la congrégation des traîtres dans les manuscrits de Qumran) et à la tradition orale qui semble aux Hassidim un simple moyen de contourner la loi écrite. 

Ces deux Jésus: le Logos de Dieu et le Jésus historique permettent de comprendre une bonne partie des évangiles. Quant aux parties mineures qui échappent à cela, elles sont faciles à comprendre.

  • Jésus mort et ressuscité pour le pardon de nos péchés, c'est le temple détruit et qui doit être reconstruit spirituellement... Les rabbins ne diront pas autre chose, la prière et le repentir remplacent les sacrifices. (C'est dans cette recherche d'un culte spirituel que les chrétiens penseront que la circoncision peut être abolie).
  • Jésus Messie Fils de David, est une attaque très directe contre Shiméon bar Kokheba. Ce dernier est intronisé Messie ben David par un prêtre Éléazar, comme Jésus est intronisé Messie ben David par un prêtre, Jean le Baptiste. Jean le Baptiste a d'ailleurs été exécuté en 36, donc bien après Jésus. Le Jean historique est certainement de la famille de Jésus et comme lui un personnage révolutionnaire et intransigeant.
  • Les passages les plus ouverts des évangiles (La pécheresse pardonnée, la femme adultère, etc.) sont des réécritures marcionites en vue de justifier la rupture avec le judaïsme: Jésus écrit sa nouvelle loi avec son doigt comme Dieu avait écrit l'ancienne loi avec son doigt, le passage manque dans de nombreux manuscrits; quant à pécheresse pardonnée, elle existe en trois versions.)
  • Les discours johanniques sont des discours issus de l'hermétisme alexandrin pour lequel le Logos n'est plus le roi de l'univers, mais plutôt l'ange qui se révèle à l'intérieur de l'homme
  • les passages sur le fils de l'homme proviennent des Paraboles d'Hénoch.
  • Plusieurs passages des évangiles sont des protestations de fidélité à Rome: Rendez à César ce qui est à César (César est un impie, il n'a droit à rien); les bonnes images des publicains; Jésus qui ne se révolte pas; le royaume de Judée édulcoré en royaume des cieux ou de Dieu; 
  • la responsabilité de la mort de Jésus incombe aux Juifs, comme Flavius Josèphe accuse les zélotes-pharisiens, en ayant refusé tout compromis avec Titus, d'être responsables de la destruction du Temple; on notera que Pilate ne veut pas mettre Jésus à mort, comme Titus ne veut pas détruire le Temple; on notera aussi l'intervention de Bérénice de Judée auprès de son amant Titus en faveur du Temple, comme l'intervention de l'épouse de Pilate en faveur de Jésus... Il est difficile de savoir historiquement si Titus a voulu détruire le Temple ou le préserver, mais la mention de Flavius Josèphe que le Temple a pris feu par accident (un tir raté d'un soldat romain dont la flèche enflammée aurait atteint la tenture du temple) n'est pas invraisemblable, puisqu'il précise que Titus est entré dans le Temple avec ses officiers et qu'il a fait apporter de l'eau par les légionnaires pour tenter d'éteindre l'incendie, mais que c'était trop tard et que le bâtiment était irrécupérable. 
  • Les évangiles devaient intégrer les principales fêtes juives, certains miracles de Jésus s'y réfèrent expressément, la résurrection de Lazare comportant des parallèles avec la purification du Temple par Judas Macchabée, donc la fête de Hanukah.
  • Notons deux personnages secondaires qui apparaissent dans les évangiles sous le nom de Jésus: 
    • Bannous, un converti de la famille d'Izatès, exécuté par Hanan ben Hanan en 62 (on se demande d'ailleurs ce que fait le grand-prêtre Hanan qui interroge Jésus, l'histoire ne connaît que deux grands-prêtres qui se sont appelés Hanan: Hanan ben Seth, grand-prêtre en 15–18, donc bien avant le Jésus de l'histoire; et Hanan ben Hanan, le fils du précédent, grand-prêtre en 62, donc bien après Jésus) et enterré par Flavius Josèphe aka Joseph le Lion Fils de Mathathias, aka Joseph Ari (le Lion) Mataias (fils de Matthias)
    • Jésus le Sorcier, un samaritain massacré vers 55 pour avoir manipulé la princesse Drusilla de Judée et qui pourrait être le Jésus qui est enduit d'huile par une prostituée. 

Comme on le voit l'évangile est décomposable en petites histoires parfaitement cohérentes... et qui assemblées ensemble sont sources de confusion. Le logos n'a aucune existence charnelle, c'est un principe philosophique pour comprendre l'activité divine auprès des hommes, ou les pratiques spirituelles dans le cadre d'une révélation intérieure. Le Jésus de l'histoire n'a aucune réalité spirituelle, c'est un homme juste, il n'a été qu'homme. 

Le chrétien croit qu'il croit en Jésus, alors qu'il croit dans le Dieu d'Israël mais tel que compris par la philosophie grecque (Père inactif, Fils ou Logos à qui tous les pouvoirs ont été confiés).

Au sein des évangiles existent deux tendances, une liée aux aspects historiques de l'homme Jésus et l'autre liée aux aspects philosophiques du Logos; mais dans les deux cas, que l'on suive l'homme Jésus et l'ébionisme ou le Logos, la Torah et ses commandements n'ont pas été abolis, et le chrétien en conservant l'Ancien Testament s'identifie aux beney_Israël, il est donc tenu d'en suivre les prescriptions. Pour Philon seul le Logos sauve, mais le Logos sauve parce que l'homme accomplit les prescriptions de la Loi.

Les évangiles sont donc une allégorie... Ce n'est pas le judaïsme qui est une préfiguration du christianisme mais bien le christianisme qui est une préparation au judaïsme qui n'a jamais pu aboutir. D'ailleurs, l'idée qu'il faudrait croire au messie est totalement absente du judaïsme. Nos travaux ne doivent rien à l'islam et le contredisent en de nombreux points, puisque l'islam pas plus que le christianisme ne parviennent à séparer les deux Jésus: le Logos et l'homme Jésus, artificiellement fusionnés pour expliquer les principes philosophiques du judaïsme alexandrin... En effet, quand les chrétiens comprendront que D. peut s'adresser directement à nous malgré son infinité, nous comprendrons alors le fondement de la révélation mosaïque. 

Enfin, les évangiles se sont probablement adressés dans les années 135–140, à des révoltés juifs et judaïsants, las de se soulever contre Rome et d'avoir été trois fois vaincus... à des repentis, donc... 

Dans le cadre d'un article, nous ne pouvons que résumer nos opinions, ils feront l'objet d'une démonstration exhaustive dans nos livres à paraître: Flavius Josèphe, les manuscrits de la Mer Morte et les origines du christianisme et le tome II consacré à la reconstitution des originaux des évangiles. 

Stephan HOEBEECK

vendredi 7 octobre 2016

Jésus le Sicaire

Un article de Michaël Girardin qui a été publié par Le Point et qui est intitulé Jésus était-il un terroriste ? Exige une mise au point à la fois sur les terroristes, sur les sicaires et sur Jésus.

Les sicaires
Si les sicaires étaient des terroristes, alors on peut tout autant décrire les résistants français qui refusèrent de plier face au nazisme comme des terroristes. 
L’acte de résistance vise des cibles stratégiques, dont éventuellement des collaborateurs civils, en vue d’objectifs précis et réalistes ; l’acte de terrorisme vise à la terreur sans objectifs réellement précis voire même possibles : croit-on vraiment que les attentats au couteau vont faire plier Israël, que du contraire, ils achèvent de convaincre la totalité des Israéliens qu’il n’est nulle paix possible avec les Palestiniens. 

Les sicaires sont les successeurs des hassidim (les pieux ou les Assidéens) qui suivirent Judas Macchabée et ses frères, et qui obtinrent des Séleucides l’indépendance de la Judée (limitée à Jérusalem et sa banlieue) en –152. Ces groupes religieux et nationalistes ne disparurent jamais ; d’abord fidèles aux hasmonéens, ils s’en séparèrent à l’époque de Salomé Alexandra (–76) qui se soumit aux pharisiens. Ézéchias, le père de Judas le Galiléen, le fondateur des Sicaires, organisa une révolte en Galilée en –47 et fut exécuté par Hérode qui n’était alors que stratège (gouverneur) de cette région. Il est probable que ces groupes furent de toutes les révoltes et bien avant l’an 6. 
On peut lire dans les Antiquités Juives, les exactions et la corruption des procurateurs romains, qui devinrent telles qu’en 66, quand Menahem le Sicaire prit Massada et quand Shimeon le Zélote ou le Shammayite (disciple de Rabbi Shammay) arrêta les sacrifices en faveur de l’empereur, le peuple judéen se souleva dans son ensemble, tant le mécontentement était généralisé.
La rivalité entre Sicaires, Zélotes et d’autres groupes affaibliront les forces judéennes face à Rome, ce qui entraînera la prise de Jérusalem, la destruction du Temple en 70 et la mort de 1 à 2 millions de Juifs et l’esclavage pour des centaines de milliers d’entre eux.

L’article
D’abord Judas Iscariote, l’auteur signale la thèse de Samuel Brandon, à notre avis juste, qu’Iscariote est bien une déformation de Sicaire (Sicaire = ‘iskariôth en hébreu ancien) ; mais il omet de dire que le père de Judas Iscariote est clairement identifiable, puisqu’il s’agit de Simon le Sicaire, le propre fils de Judas le Galiléen et qui fut crucifié par Tibère Alexandre en 48.
L’auteur dit : « En revanche, aucune mention des Esséniens ni des Sicaires n'est clairement visible, ce qui convainc que ces groupes ne se reconnaissaient pas dans la prédication de Jésus. » Une telle affirmation est facile à réfuter ; en effet, les manuscrits de Qumran montrent que les Esséniens étaient extrêmement hostiles aux pharisiens et aux sadducéens accusés de manquer d’amour pour le prochain et de collaborer avec l’ennemi. Il est donc infiniment plus simple de déduire que si Jésus attaque les pharisiens et les sadducéens, c’est parce qu’il est lui-même un Essénien ou un sicaire. De plus, notons le parallèle entre les attaques contre la Torah orale des pharisiens tant de Jésus que des Esséniens, et probablement des sicaires (par exemple dans la dispute sur les mains non lavées.) 
L’auteur dit encore que pour comprendre Jésus, la piste pharisienne est plus prometteuse. Il existe en effet quelques similitudes entre les enseignements de Jésus et ceux de Rabbi Hillel, mais aussi beaucoup de dissemblances, comme les positions de Jésus sur le divorce qui attaque implicitement celles d’Hillel et est identique à celle des Esséniens: l’un des rares enseignements de Jésus ayant une portée juridique est effectivement essénien. Enfin quand Jésus envoie ses disciples en missions et leur dit qu’ils seront accueillis par des gens pieux, c’est peu réaliste pour un mouvement né quelques semaines avant ; par contre, c’est logique si Jésus s’inscrit dans la tradition essénienne qui avait des établissements répartis dans toute la Judée pour accueillir les Esséniens en déplacement. 

L’auteur de l’article dit encore : « On peut arguer que ces écrits déforment la vérité, mais en l'absence d'autre source, il est délicat de proposer un autre regard sans tomber dans la spéculation. Peut-être un autre document sera-t-il un jour découvert, qui portera à changer ces conclusions. » Or, de tels documents existent, comme les fragments de l’évangile dit d’Egerton qui datent de 120 et qui sont donc les plus anciens documents datables mentionnant Jésus (le suivant est 30 ans plus tardif et est conforme aux évangiles). Ces minuscules fragments (1 feuillet) nous montrent un Jésus qui refuse de payer l’impôt à César, CE QUI, TECHNIQUEMENT, S’APPELLE POUR LES ROMAINS « SE RÉVOLTER ». Ces passages d’Egerton permettent de mieux comprendre pourquoi les évangiles disent que ceux qui débattent avec Jésus avaient peur de la foule ; en effet, la foule était majoritairement hostile aux Romains et ceux qui l’interrogent sont des collaborateurs des Romains, si Jésus a dit : Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu, ces collaborateurs n’ont aucune raison de contredire Jésus ; mais si Jésus, comme le dit le fragment d’Egerton, a assez clairement refusé de payer le tribut à Rome, on comprend bien mieux pourquoi ils craignent la foule s’ils le contredisent ; et aussi pourquoi il sera accusé devant Pilate de refuser de payer le tribut (Luc 23, 2). Les Pères de l’Église ont attaqué un évangile perdu, l’évangile des Hébreux, des Nazaréens ou des Ébionites, mais leurs citations nous font découvrir un Jésus plus juif et aimé de son peuple que ce que les quatre évangiles canoniques ont bien voulu dire.

Le Jésus de l’histoire
Les évangiles souffrent de réécritures nombreuses, d’anachronismes, de réminiscences bibliques (les miracles de Jésus ont quasi tous leur original dans l’Ancien Testament) et profanes (particulièrement Flavius Josèphe)… Mais, quand ces éléments ont été retirés, il reste bien des éléments très difficiles à expliquer et qui offrent des pistes pour identifier le Jésus historique. 
Jésus annonce le Royaume, mais lequel ? le royaume des cieux comme dit Matthieu ou le royaume de Dieu comme dit Luc… Comme il est impossible de confondre « des cieux » avec « de Dieu » en hébreu, Jésus aurait plus simplement annoncé le royaume, c’est-à-dire le royaume de Judée libre et indépendant de la domination romaine.
Peu d’épisodes des évangiles permettent de faire le lien avec le Talmud, mais le Talmud mentionne bien que Qaïphe a fait transférer le marché des viandes et les changeurs dans l’enceinte même du temple ; le Talmud dit que le sanhédrin a décidé que les marchands devaient quitter l’enceinte du Temple et Qaïphe, bien gentiment leur aurait obéi. C’est peu réaliste, Qaïphe est grand-prêtre par la grâce de Rome, ce que le Sanhédrin décide n’a aucune importance tant que le pouvoir romain le cautionne. Par contre, une révolte organisée au temple même par Jésus et par les prêtres du bas clergé, en général, férocement nationalistes, est finalement plus simple à admettre. Remarquons deux points, là où dans les œuvres de Flavius Josèphe nous devrions lire cette affaire du Temple, nous y découvrons la mention de Jésus, ce qui ferait du Testimonium Flavianum une falsification, et ailleurs, il mentionne qu’en 35, donc peu de temps après l’exécution de Jésus, le légat consulaire de Syrie, Lucius Vitellius a fait démettre Qaïphe à cause de ses fautes, sans qu’il ne précise lesquelles. On pourrait supposer que le Temple a connu une quasi-insurrection et que la raison de la perte de sa charge serait bien due à ses abus et aux mécontentements qu’ils ont provoqués et qui auraient culminé avec Jésus, finalement exécuté par son protecteur, Ponce Pilate, ce qui ferait bien de Jésus un sicaire. 

Plusieurs passages des évangiles laissent soupçonner des réécritures, comme la question sur le jeûne que ne suivent pas les disciples, et Jésus dit que 
Les amis de l’époux peuvent-ils s’affliger pendant que l’époux est avec eux ? Les jours viendront où l’époux leur sera enlevé, et alors ils jeûneront. (Mt. 9, 15 ; Mc 2, 19–20 ; Lc 5, 34–35)
Pour comprendre le sens de ce passage, il convient de se demander de quel jeûne il s’agit. Ce n’est certainement pas Yôm Kippur, universellement admis parmi les Juifs, les rabbins auraient considéré Jésus comme un apostat pur et simple si ni lui ou ses disciples ne l’accomplissaient. Compte tenu de la réponse, il serait assez logique qu’il s’agisse du jeûne du 9 av qui commémore la destruction du Ier Temple (et ensuite du IIe); la réponse de Jésus ne viserait pas à asseoir une croyance en lui, mais décrirait bien que certains Juifs refusaient le jeûne du 9 av parce que le Temple avait été reconstruit ; il n’y est annoncé ni le départ de Jésus ni qu’il faudrait jeûner pour cela mais la destruction du IIe Temple (quand l’époux leur sera enlevé), et qu’alors, ils devront jeûner.
En Matthieu 11, 12–13 et en Luc 16, 16, on lit un passage très étrange. 
Depuis le temps de Jean [Baptiste, manque en Luc] jusqu’à présent, le royaume [Mt. des cieux/Lc de Dieu] est [Mt. forcé/Lc annoncé], [et ce sont les violents qui s’en s’emparent/Lc et chacun use de violence pour y entrer.] Car tous les prophètes et la loi ont prophétisé jusqu’à Jean
Si nous suivons la chronologie évangélique, Jean Baptiste est mort depuis quelques jours, quel changement a bien pu se produire pour que soudainement les violents s’emparent du royaume ; par contre si Jésus est bien la nationaliste judéen que nous soupçonnons, alors cela devient assez clair, le Jean en question n’est pas Jean le Baptiste, mais Alexandre Jannée, et effectivement, Flavius Josèphe considère aussi que ce n’est qu’après la mort de Jean Hyrcan et de Jannée que la prophétie s’est arrêtée; quant aux violents qui veulent s’emparer du royaume, cela fait allusion à la querelle des deux fils de Yannay qui ouvriront les portes à la conquête romaine de –63.

La Guerre civile juive (–110 à 70)
Il existe bien une guerre civile en Judée qui a duré de Jean Hyrcan (grand-prêtre en –135, mort en –104) et qui s’est achevée avec la destruction du Temple en 70, mais plus probablement avec la guerre de Qitos en 115–118 ; si on enlève le verbiage idéologique, cette guerre oppose les pharisiens aux assidéens ou les rabbins aux prêtres, le sanhédrin au Temple, les descendant de David contre les descendants d’Aaron. Si réellement, Jésus a été un descendant de David, comment expliquer son hostilité aux rabbins, ses supporters normaux… 
Et il existe plusieurs arguments tirés des évangiles qui montrent que Jésus n’était pas un fils de David mais un fils d’Aaron:
  • Jésus quand il naît est consacré au Temple, seuls les fils d’Aaron sont consacrés à leur naissance (Luc 2, 23). 
  • Les textes de Qumran parlent de deux messies, un messie d’Israël, probablement un messie fils de David qui est un chef de guerre et un messie fils d’Aaron qui représente Dieu sur terre et fait connaître aux hommes la volonté de Dieu, il est aussi chargé d’enlever les péchés des hommes. Jésus a toutes les caractéristiques d’un Messie Fils d’Aaron et aucune d’un Messie Fils de David.
  • La généalogie de Jésus d’après Luc : Jésus est fils de Joseph, d’Élie, de Matthat, de Levy, de Melchi, de Jannée. D’abord Melki n’est pas un prénom hébreu mais arabe ; mais c’est aussi un mot (melek) qui signifie « roi ». Or un roi de Judée s’est appelé Yannay (Alexandre Jannée) qui fut roi et grand-prêtre de –103 à –76. Officiellement, il n’a été marié qu’à Salomé Alexandra qui lui donna deux fils, c’est ce que prétend Flavius Josèphe. Il n’est néanmoins pas impossible qu’il ait eu deux femmes, et que lors de la prise du pouvoir par Salomé Alexandra, elle ait tenté de faire éliminer les fils de sa rivale afin de favoriser les siens… C’est de cette descendance que pourrait être issue la dynastie sicaire à laquelle aurait appartenu aussi Jésus. Cela ferait du Jésus de l’histoire un prince hasmonéen de Judée et un messie Fils d’Aaron. De là, la crainte des Romains face à Jésus, il appartenait à une famille prestigieuse, royale, sacerdotale et surtout ultra nationaliste. 
  • Mentionnons encore que le Talmud raconte que Jésus aurait vécu à l’époque de Jean Hyrcan, donc un décalage de 100 ans avec les évangiles, et lorsqu’un élève de Maïmonide l’a interrogé sur cet anachronisme, ce sage lui répliqua que Jésus était le dépositaire d’une lignée qui s’était opposée aux rabbins depuis l’époque du Jean Hyrcan, on ne peut dire plus clairement que Jésus est de la lignée du Maître de Justice des Esséniens.

Une autre question indirectement liée à la personne de Jésus, ce sont les chrétiens : bien des énigmes subsistent sur eux ; ils sont censés exister depuis l’an 30, et en 150, excepté le Nouveau Testament, ils n’ont composé que quelques textes : 
l’Épître de Barnabé (vers 140) ; la Didachè (un manuel de conversion au judaïsme christianisé) ; l’Épître aux Corinthiens de Clément de Rome (vers 140, qui donne les principaux points de la foi chrétienne et qui ne connaît pas l’eucharistie) ; le Pasteur d’Hermas (qui ne mentionne jamais Jésus et pour qui le Fils de Dieu est l’Esprit Saint) ; l’Apologie d’Aristide (datée officiellement de 125, puisqu’il loue Hadrien de la punition qu’il a infligée aux Juifs ce qui peut difficilement faire allusion qu'à la monstrueuse répression contre les Juifs pendant la Seconde Guerre judéo-romaine de 132–135) ; les œuvres de Pappias d’Hiérapolis semblent dater de 120, mais elles sont perdues ; quant aux épîtres d’Ignace d’Antioche, elles contiennent une allusion à Lucien, elles doivent donc dater des années 170–180. 
L'absence d'une littérature chrétienne ancienne montre que le christianisme est moins ancien que ce que l’on veut faire croire. Certains passages du Discours eschatologique paraissent faire allusion à Shiméon bar Kokhebâ, le chef de l’insurrection qui est mentionné comme ayant organisé une répression contre les chrétiens parce qu’ils refusaient de prendre les armes contre les Romains. Les chrétiens ne seraient alors plus des chrétiens mais des judaïsants d’Alexandrie (métis judéo-grecs et convertis) qui cherchaient un compromis avec Rome et qui feront des évangiles une sorte de mélange de Bible et de philosophie grecque centré sur Jésus… et qui renoncent à la libération du royaume de Judée pour se concentrer sur le royaume des cieux… Le christianisme n’est alors qu’un judaïsme assagit face à Rome, mais dépassé par le succès de ses textes fondateurs (ceux du Nouveau Testament), il va rapidement évoluer vers une déjudaïsation complète. Le passage de Jésus le Sicaire à Jésus le Messie est simplement le passage du judaïsme révolté contre Rome au judaïsme romanisé: le christianisme.

Si la prédication paulienne visant à abolir la circoncision avait eu quelque réalité, elle aurait été combattue par Philon et par Flavius Josèphe, mais ils n'ont rien dit, et dans la mesure où de nombreux textes chrétiens sont antidatés, on doit soupçonner que le rejet de la circoncision date des années 130, quand l'empereur Hadrien la fit interdire sous peine de mort dans tout l'Empire Romain...